Revue du Lyonnais » série 1 - n°7 ( 1838 ) » pp.130

                                 130
On la s a i t , non pas de Jacques, car il ne parle pas , mais on
la tient de la confession d'un mourant sur lequel la justice
des hommes n'a plus eu prise.
    « Depuis long-temps on avait signalé à la famille du père
 de Jacques tout le danger qu'il y avait de garder la forêt. On
 ne lui faisait peur ni des ours ni des loups , parce qu'il faut
 dire que Pila, de mémoire d'homme, n'a jamais eu de bêtes fau-
ves : quelques loups, et encore bien peu. Mais on le mettait en
garde contre les propos tenus au cabaret le dimanche et con-
tre les jurements de quelques habitants de la lisière du bois
d'exterminer tous les agents de l'administration forestière.
    Le père de Jacques était un homme de cœur. Un ancien
serviteur du Roi. 11 savait très bien manier le sabre et la ha-
che comme le premier venu , et puisque tous les jeunes mili-
ciens de l'endroit se coupaient le doigt plutôt que d'aller à la
guerre , il riait des frayeurs qu'on lui inspirait, des gens du
Pays; et comme Guise le Balafré , il semblait d i r e : ils n'ose-
raient. —
   Les vols de bois ne se faisaient trop que de nuit, et par
des temps où le vent tourmentait la forêl. Il lui vint dans
l'idée de faire sa t o u r n é e , un de ces soirs que l'obscurité et
l'orage lui faisaient appeler un riche temps ! il prend son fusil ;
et pour aguerrir son petit Jacques qui avait plus peur des
ombres que des loups , il le mène avec lui.
   Près du saut du Gier, à ce qu'on d i t , il fit rencontre de
trois individus occupés à traîner une plante qu'ils venaient
d'aballre , une plante, c'est-à-dire un des sapins de la forêt.
Qui vive ?— Point de réponse. — Qui vive ?— et le garde arme
son fusil.—On cherche à fuir.—Halte-là! je fais feu.—Comme
on le savait résolu, on s'arrêta en suppliant de ne pas dres-
ser procès-verbal. Etaient-ce des habitants deDoizieu, de La-
vala, ou du Bessat ? On ne l'a jamais su.
   Le garde , ancien militaire , aimait le vin , et surtout celui
des côtes du Rhône , du rivage, vrai casse tête et le seul
qu'on buvait alors dans le pays ; l'offre d'une bouteille appuya