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    Deux choses sont nécessaires aux peintres, la forme et la
couleur ; ces deux choses sont également nécessaires aux
musiciens, seulement elles changent de nom , et s'appellent,
pour eux, mélodie et harmonie.
    Malheureusement le résultat n'est pas le même; car le
peintre exprime une idée positive par des signes sensibles,
matériels, que tout le monde peut comprendre et juger par
la comparaison ; tandis que le musicien n'a , pour rendre la
même idée, que des signes invisibles, aussi vagues, aussi
étranges que la sympathie , sans modèle comme sans raison
d'être ainsi plutôt qu'autrement. Fils de l'inspiration, ils
échappent à l'analyse et au raisonnement ; inexplicables à
l'esprit, le cœur seul peut les comprendre ; heureux quand
l'artiste a pu les dessiner assez justes pour qu'on ne puisse les
confondre !
    Quelques compositeurs ont, il est vrai, produit des effets
matériels: tantôt le mugissement de la tempête, tantôt le
vent dans le feuillage, tantôt le bruit <le la rame qui fatigue
la vague, et mille autres imitations ingénieuses ; mais je nie
que ces imitations soient une étude féconde en heureux ré-
sultats et capables de faire faire un pas de plus à l'art. Ceux
qui ont dit que Beethoven allait, sur les dernières années de
sa vie, s'inspirer de la grande voix des forêts pour trouver ses
étranges mélodies, ceux-là ont oublié que le grand artiste
était devenu sourd. Sans doute la contemplation de la nature
est la meilleure source de l'inspiration; mais chaque fois que
 l'art veut imiter, combien il reste au-dessous du modèle!
    Ici je vais me permettre une petite digression, et vous
conter un de mes meilleurs souvenirs.
    C'était en automne, sur les dunes du petit village de Vi-
 letle , à quelques lieues de Lyon , en remontant le Rhône ;
 à mes pieds, le fleuve coulait majestueux ; il entourait, comme
 une ceinture brillante, les nombreux ilols semés au milieu
 de ses eaux ; à l'occident, le soleil couchant reflétait de fan-
 tastiques lueurs -, autour de moi, j'entendais les troupeaux