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114 Deux choses sont nécessaires aux peintres, la forme et la couleur ; ces deux choses sont également nécessaires aux musiciens, seulement elles changent de nom , et s'appellent, pour eux, mélodie et harmonie. Malheureusement le résultat n'est pas le même; car le peintre exprime une idée positive par des signes sensibles, matériels, que tout le monde peut comprendre et juger par la comparaison ; tandis que le musicien n'a , pour rendre la même idée, que des signes invisibles, aussi vagues, aussi étranges que la sympathie , sans modèle comme sans raison d'être ainsi plutôt qu'autrement. Fils de l'inspiration, ils échappent à l'analyse et au raisonnement ; inexplicables à l'esprit, le cœur seul peut les comprendre ; heureux quand l'artiste a pu les dessiner assez justes pour qu'on ne puisse les confondre ! Quelques compositeurs ont, il est vrai, produit des effets matériels: tantôt le mugissement de la tempête, tantôt le vent dans le feuillage, tantôt le bruit <le la rame qui fatigue la vague, et mille autres imitations ingénieuses ; mais je nie que ces imitations soient une étude féconde en heureux ré- sultats et capables de faire faire un pas de plus à l'art. Ceux qui ont dit que Beethoven allait, sur les dernières années de sa vie, s'inspirer de la grande voix des forêts pour trouver ses étranges mélodies, ceux-là ont oublié que le grand artiste était devenu sourd. Sans doute la contemplation de la nature est la meilleure source de l'inspiration; mais chaque fois que l'art veut imiter, combien il reste au-dessous du modèle! Ici je vais me permettre une petite digression, et vous conter un de mes meilleurs souvenirs. C'était en automne, sur les dunes du petit village de Vi- letle , à quelques lieues de Lyon , en remontant le Rhône ; à mes pieds, le fleuve coulait majestueux ; il entourait, comme une ceinture brillante, les nombreux ilols semés au milieu de ses eaux ; à l'occident, le soleil couchant reflétait de fan- tastiques lueurs -, autour de moi, j'entendais les troupeaux