Les enluminures à l'heure de la numérisation

Livres, manuscrits et incunables : 12 000 images sont désormais visibles par tous sur Internet

S'échappant des pages parcheminées et des papiers anciens des livres de la Bibliothèque municipale de Lyon où ils reposaient à l'abri des regards, anges et diables, saints et saintes, monstres et singes, insectes et éléphants, fleurs et fruits, êtres et choses peuplant les enluminures viennent aujourd'hui s'exposer aux yeux de tous sur Internet [note]Adresse de la base : http://www.bm-lyon.fr/trouver/basesdedonnees/base_eluminure.htm .

La base Enluminures de la Bibliothèque municipale de Lyon propose en effet 12000 images provenant de 457 de ses documents : manuscrits du Ve siècle au XVIe siècle, incunables et livres de la Renaissance.

L'objectif fixé à l'origine du projet, en 1995, était simple : mettre à disposition des chercheurs une documentation iconographique dont une partie très minoritaire était exploitée jusque là, faute d'accès commode au document original ou même aux reproductions qui en avaient été réalisées. L'absence de description et d'indexation détaillées de ces images renforçait encore la difficulté d'accès, contraignant le chercheur à feuilleter au hasard les pages de nombreux manuscrits. La volonté de diffuser largement une information jusque là en sommeil, a alors conduit au choix d'Internet.

L'expérimentation de plusieurs logiciels de gestion électronique de documents et plus globalement le changement du système informatique de la bibliothèque en 1999, ont finalement permis d'opter pour le logiciel Dipmaker en vue de traiter les images.

La base enluminures est le résultat d'une entreprise de numérisation et d'indexation. La numérisation a été réalisée à la Bibliothèque municipale, à partir des diapositives couleur réalisées par l'Institut de Recherche et d'Histoire des Textes (IRHT) lors d'une campagne photographique menée au début des années 1990. Les images, compressées en JPEG [note]JPEG est l'un des trois formats de compression d'images fixes utilisés sur Internet., ont un poids final de moins de 100 kilo-octets, afin d'obtenir sur l'écran du chercheur, à son domicile, une image de qualité correcte tout en gardant une rapidité de consultation satisfaisante.

L'indexation, en voie d'achèvement, a été menée au départ dans le cadre d'un programme de l'Agence Rhône-Alpes pour les Sciences Sociales et Humaines (ARASSH). Le souci fut de décrire l'image tout en donnant des indications succinctes sur l'ouvrage dont elle est extraite.

Une fiche accompagne donc l'image et comprend dix champs : cinq concernent directement l'enluminure (légende de l'image, cote de l'image, dimensions de l'image, enlumineur, descripteurs), cinq autres sont rattachés à l'ouvrage (titre du livre, auteur du livre, date du livre, cote du livre, notes) [note]Les 12000 images sont réparties entre 7600 fiches, plusieurs images pouvant être rattachées à la même fiche. 4500 fiches sont à ce jour complètement remplies soit environ 7500 images..

Le choix des termes du champ descripteur, a été effectué en utilisant une version simplifiée du Thesaurus des images médiévales pour la constitution de bases de données iconographiques publié en 1993 par le groupe d'Anthropologie historique de l'Occident médiéval (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales - Paris).

En quelques clics judicieux

"Jonas jeté à la mer" in Speculum Humanae salvationis (BM Lyon, Ms. 245, f. 147)

Pour chaque ouvrage, le nombre d'images varie d'une à plusieurs centaines : ainsi un De rustica de Varron du XVe siècle (Ms 331) ne comporte qu'une seule image, une modeste manicule, tandis qu'un Décret de Gratien du milieu du XIVe siècle (Ms 5128) comprend plus de 300 images et le Missel d'Attavante, de 1483 (Ms 5123), plus de deux cents. Les textes, et l'iconographie qui les accompagne, sont à dominante religieuse (bibles, missels, bréviaires, pontificaux, livres d'heures, droit canon), mais les ouvrages profanes sont nombreux et couvrent un large champ de la connaissance (philosophie, histoire, littérature, sciences...). Tous les manuscrits médiévaux enluminés de la bibliothèque sont représentés, les plus connus (Psychomachia de Prudence (Ms P.A. 22), Bible romane (Ms 410-411), Missel de la Sainte-Chapelle (Ms 5122), Ovide moralisé (Ms 742)? ) comme les plus modestes. Et les livres imprimés contenant des parties enluminées n?ont pas été oubliés.

Les images prennent d'abord en compte les peintures à pleine page et les miniatures qui ont été systématiquement numérisées, mais une large place est faite également aux initiales ornées et aux décors des marges pour lesquels un choix significatif a été effectué. La base de donnée est interrogeable par plusieurs clés d'accès qui peuvent être croisées. Chacun des champs est muni d'un dictionnaire. Un soin particulier a été apporté aux descripteurs : noms de personnes, noms communs (objets, attitudes?). L'accent a également été mis sur les divers types d'ornement de la page : les amateurs de bouts-de-ligne, d'initiales champiées ou émanchées, de bordures à rinceaux et de cadeaux trouveront ainsi des exemples nombreux à étudier ou à admirer.

Les résultats de la recherche sont affichables de trois manières différentes : une mosaïque d'imagettes ; un tableau contenant des informations succinctes ; une fiche décrivant en détail l'image. Des liens permettent de passer rapidement d'une forme à l'autre. L'image peut être obtenue en plein écran et un panier est à disposition pour emmagasiner les résultats de la recherche.

En quelques clics judicieux, le chercheur, spécialiste ou simple curieux, a tout loisir de découvrir des images qui lui étaient inconnues. Il peut regrouper des informations dispersées dans des documents différents, d'âge et de style variés et se livrer plus aisément au jeu ou à l'étude des comparaisons. Cependant, la base telle qu'elle est constituée n'a pas l'ambition de répondre à toutes les attentes. Elle est une première étape vers une prise en compte globale du document, image et texte. Elle devrait donc, à terme, être liée à un catalogue décrivant plus largement les manuscrits d'où proviennent les images et à un ensemble où le lecteur accéderait au texte complet.

Au total, ces images réalisées il y a quelques siècles en France, en Italie, en Flandres et ailleurs, conservées soigneusement, mais presque secrètement, par des générations de collectionneurs et de bibliothécaires, s'offrent aujourd'hui une vie nouvelle sur les écrans du monde.