Sommaire :

    Le Connu et l'inconnu

    Gaillardise populaire et ballet mythologique au fonds ancien

    Le fonds des éditions lyonnaises du XVIIe siècle vient de s'enrichir de deux textes rares acquis chez des libraires spécialisés parisiens : Benoît Forgeot et Lardanchet. L'un de ces écrits est déjà connu, l'autre ne l'est apparemment pas.

    Frontispice anonyme du Courrier facétieux [...], Lyon, chez Claude La Rivière, 1650 (BM Lyon, Rés. B 512144) Du Courrier facétieux, ou recueil des mauvaises rencontres de ce temps [note]Le Courrier facétieux, ou recueil des mauvaises rencontres de ce temps ? A Lyon, chez Claude La Rivière, rue Mercière, à la Science, 1650 ? 8°, 162 mm, [1 - 1bl - 1 - 1bl -] 384 [16] p. sign. [ ]2, A-Bb8, frontispice gravé, permission du 9 mai 1647, p.1 bandeau aux initiales CL, empreintes e.is s.ié e.en crsu 3 M.DC.L. Bibliothèque municipale de Lyon, cote Rés B512144, Madame Merland, dans le prochain tome à paraître de sa Bibliographie des éditions lyonnaises du XVIIe siècle, signale un exemplaire à la Bibliothèque nationale de France et indique l'article qui lui a été consacré : Jean Emelina, Le « Courrier facétieux » : aperçus sur la littérature, la pensée et la culture populaire au XVIIe siècle, dans Revue des sciences humaines, fascicule 128, 1967, pages 523-544.

    Le mot de courrier, au titre, évoque un périodique, et donc de la nouveauté. Que l'on pense, par exemple, à cette publication de la Fronde : Le Courrier bourdelois apportant toutes sortes de nouvelles. Cette impression est renforcée par le frontispice anonyme : un messager, portant en croupe un coffre sur lequel est inscrit Le Courrier facétieux fouette sa monture, sans doute pour que le lecteur ne reçoive pas de nouvelles trop tardives. Le mot facétieux explique que le cavalier enfourche à l'envers? un âne !

    Or il ne s'agit pas de nouveautés, mais d'un recueil, dont l'éditeur est resté anonyme, de facéties, la plupart tirées ou adaptées d'ouvrages de la même veine : Les Récréations et Joyeux Devis, de Bonaventure des Périers, lesSérées de Guillaume Bouchet, les Facétieuses rencontres de Verboquet, le Facétieux Réveille-matin? Toujours d'après Jean Emelina,

    Le courrier facétieux semble n'avoir été édité qu'à Lyon
    et ne semble pas avoir fait l'objet jusqu'ici d'une étude particulière. La permission de 1647 fait supposer une édition antérieure qui reste à découvrir. Les deux éditions suivantes sont également lyonnaises : 1660, toujours chez La Rivière et 1668 chez Jean-Baptiste Deville, dont un exemplaire sur les trois répertoriés figure à la Bibliothèque municipale de Lyon (cote Rés 357157). Il ne s'agit pas d'une nouvelle émission, mais bien d'une nouvelle édition, qui d'ailleurs copie l'ancienne page à page.

    C'est aussi à Lyon que se passent certaines anecdotes, comme en fait foi la table des matières : D'un gentilhomme, et d'un hoste de l'Escu de France de Lyon, D'un garçon chapelier de Lyon, D'un bourgeois de Lyon, & d'un Païsan, D'un hoste de la ville de Lyon. Mais la table ne précise pas toujours que la scène se passe à Lyon. Ainsi, Belle répartie d'un paysan à un personnage de qualité commence ainsi : Un paysan, qui avait le poil très roux, vint un matin dans Lyon, pour donner le bonjour à son maistre, & lui apporter quelques nouvelles de sa métairie.

    Page de titre du Balet des bergers et bergères de l'Isle douce, [Lyon, Clément Testefort], 1627 (BM Lyon, Rés. B 512161]

    Nous ne pouvons reprendre tout l'article de M. Emelina. Outre le succès de ce recueil dans diverses couches sociales, il étudie aussi la sociologie des sujets, des personnages, et remarque que si le langage fait parfois montre de grossièreté, le recueil traduit cependant un polissage des m?urs, et un net adoucissement de la satire contre les religieux et les grands.

    Les éditions populaires, peu conservées à leur époque, et donc devenues rares, sont aujourd'hui objets de collection, et, comme à son habitude, le XIXe siècle les a revêtues de reliures de luxe demandées aux artistes en vogue : à Lyon l'édition de 1668 arbore un maroquin rouge de Chambolle-Duru et le volume de 1650 un vert de Duru, daté de 1850. Il va de soi que les tranches de ces deux livres sont dorées.

    C'est également une reliure du XIXe siècle, en maroquin bleu de Joly, qui recouvre la seconde pièce : Balet des bergers et bergères de l'Isle douce. Où est représenté le rauissement d'Orithye, & les amours de Zephire & de Flore [note]Balet des bergers et bergères de l'Isle douce. Où est représenté le rauissement d'Orithie, & les amours de Zephire & de flore. - S.l. : s.n. [Lyon : Clément Testefort], 1627.- 8°, 160 mm, 8 p. sign. A, fleuron de Clément Testefort (Baudrier I 341) au titre, empr. : r.ir rere irir r.ur C M. DC. XXVII. Bibliothèque municipale de Lyon, cote Rés B512161.? Nous n'avons pas trouvé mention de cette plaquette dans les divers ouvrages consultés. On se prend à regretter que ne figure sur l'ouvrage aucun renseignement quant au lieu où s'est joué le ballet, ni quant aux auteurs du texte, de la musique, des figures, ni même quant aux interprètes. Seul signe d'une origine lyonnaise, le fleuron du titre aux initiales CT.

    Il s'agit de six pages de vers, avec l'incipit De quoy nous sert de résister, comprenant les sous-titres suivants : La musique avant le ravissement d'Orithye, Chanson d'Orithye, Vers pour les personnages de l'entrée avant le grand Balet, Les bergers aux dames, Les matelots aux dames, Les Espagnols aux dames, Les docteurs aux dames, Les fouetteurs de moyne aux dames, Les Pollonois aux dames, La musique avant l'entrée du grand Balet.

    Orithye, fille d'Erechthée, roi d'Athènes, fut enlevée par le titan Borée, dieu du vent du Nord. D'après Littré, entre autres sens, un moine est une sorte de masse ou de marteau à peu près pointu.

    Ainsi, qu'il s'agisse de la permanence de la gaillardise populaire ou de l'expression musicale et chorégraphique d'une élite, ces deux pièces témoignent à leur manière de ce qui intéressait le public lyonnais du XVIIe siècle, et par leur rareté nous en rendent encore plus précieux le souvenir.