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*32i LA REVUE LYONNAISE comme nous disons. On m'y présenta, et je devins presque un familier de la maison. Je ne m'y déplaisais pas trop, quoique, lorsque j'y dînais, je trouvais qu'il y avait trop souvent du bouilli. Puis, quand on jouait au loto, le soir, on n'y distinguait pas bien les numéros, parce qu'il n'y avait qu'une chandelle. Je vois encore le mobilier : chaises de paille de 1818, en acajou, avec un dos plein et des oreilles; fauteuils de même; pendule de l'Empire, avec Dunois portant une écharpe et une harpe croisées sur le cœur; glace en deux pièces sur la cheminée. C'était un ménage fort bien tenu. Le père était très vieux, ce qui expliquait sa grande fortune. A Lyon, quelquefois il suffit, pour devenir bien riche, de devenir bien vieux. En mourant, on a la joie, après s'être bien privé toute sa vie, de laisser une grande fortune. C'est une question que je n'ai jamais manqué d'entendre à pas un seul des enterrements auxquels j'ai assisté : — Vous le connaissiez beaucoup? — Oh oui ! — Qu'est-ce qu'il laisse ? — Tant, à peu près. — Oh! oh ! je ne le croyais pas si calé! — Ce doit être une grande consolation d'entendre dire cela. Malheureusement, on ne l'entend pas. Mademoiselle Séraphine était jolie et me paraissait douce. Sa mère étant morte, c'est elle qui dirigeait la maison. Elle me semblait avoir des vertus terriblement épargnantes. Mettre le beurre dans la soupe avec une alêne, je le trouve très bien, mais il ne faut pas non plus que l'alêne soit trop, trop mince. Sans être disposé à faire des folies, je me disais que s'il fallait vivre en pauvre, autant valait- il ne pas être riche. Avec cela vous vous demanderez comment les Canard pouvaient envisager le projet d'un mariage avec un jeune homme médio- crement argenteux. A Paris, ce serait peut-être extraordinaire. A Lyon, rien de plus commun. On est riche, on n'attache pas ses chiens avec des saucisses : on ne recherche pas un jeune homme pécunieux, qui précisément aurait des habitudes de luxe. Au con- traire, on préfère « du travaillant », comme nous disons, et quel- qu'un qui se puisse plier aux habitudes de la maison. A cette fin, on aurait voulu que « j'entrasse gendre ». — Moi, c'est précisément ce