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LA VIE ET LES OPINIONS DE CHRISTOPHLE DE GAMON 21 mesuré; mais l'esprit gaulois y foisonne, et l'imperfection même y fait ressortir les traits heureux. On s'attendait à l'ennui, au dégoût, et il se trouve qu'ils intéressent plus que les illustrations de l'époque. » C'est là précisément ce qui nous est arrivé en lisant pour la pre- mière fois les œuvres de Christophle de Gamon. L'esprit et le bon goût ne sont pas des choses absolues, immuables. L'esprit consiste, ce nous semble, à exprimer une idée vraie avec clarté, simplicité, concision, à la placer dans son meilleur jour, à l'enchâsser, pour ainsi dire, d'une façon qui la mette en relief et la rende frappante pour tous. Le bon goût, c'est l'enchâssement de l'idée d'une façon conforme à la plus haute culture du temps. L'esprit et le goût varient donc avec les époques. C'est un idéal qu'on poursuit et qu'on poursuivra longtemps, et que l'agitation perpétuelle de notre esprit suffirait seule, d'ailleurs, à faire varier éternellement. La-dessus, nous allons, comme en politique, de révolutions en réactions. Nous ressemblons au pendule condamné à osciller constamment aux deux extrêmes d'un pivot idéal. Les orgies d'antithèses et de néologismes, qui nous paraissent aujourd'hui détestables, étaient l'esprit et le goût de la Renaissance, et ce sont ces exagérations iné- vitables qui firent le succès de Malherbe. Celui-ci représente la réac- tion du bon goût que Boileau poussa à l'excès. Il fallait se contenter de donner à la langue la clarté, la force, la noblesse, et se garder de cet excès de pruderie qui l'a appauvrie. Que de choses, que nous trouvons charmantes dans les vieux auteurs, — elles abondent dans Gamon, — et que personne de nous n'oserait dire ! Entre les mains des pédagogues du xvn e siècle, la langue française, qui était, la veille, une accorte et naïve paysanne, un peu inculte, il est vrai, mais pétillante de vie, de grâce et de santé, est devenue une grande dame gênée dans des vêtements raides et peu variés, guindée dans ses allures, ennuyée et souvent ennuyeuse. Le romantisme n'a pas été autre chose que le résultat de la fatigue provoquée par le purisme classique, lequel a eu sa raison d'être en son temps, mais qu'il ne faut pas accepter comme le dernier mot de la langue fran-