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240 LA REVUE LYONNAISE devait encore rendre si touchantes, même pour ceux qui avaient applaudi Hernani? Si nous prenons le recueil des œuvres du vainqueur de cette mêlée, du pontife du romantisme, nous trouvons quelques drames, plus faits pour la lecture que pour la scène, dont deux ou trois seulement, Hernani, Ruy-Blas, et çà et là Lucrèce Borgia, ont pu être repris avec un succès réel. Nous nous étonnons qu'au sein de ce fameux triomphe, le poète n'ait pas songé à exploiter un peu mieux la veine qu'il avait découverte au si grand profit de ses con- temporains. Où sont les trente-trois pièces de Corneille ? Où sont même les douze pièces de Racine ? Neuf drames, tous- de la même période; puis le silence : comme si tant de fracas n'avait été qu'une simple œuvre de destruction. La fameuse Révolution romantique, comme beaucoup d'autres, a effacé sans écrire, et quand on réfléchit, on voit qu'il en devait être ainsi. Le théâtre est toujours l'expression de la société au sein de laquelle il naît et dont il reflète les tendances et les mœurs. Cette société polie du xvn e siècle, fine, élégante, amoureuse des contro- verses galantes, remplie d'ardeur quand il s'agissait de discuter les problèmes moraux ; société aristocratique, pleine de gens de loisirs, passionnée pour la distinction, rigoureuse observatrice de l'étiquette, était faite pour produire ce théâtre un peu solemnel, où l'action se borne au choix du héros entre les divers sentiments qui partagent son cœur; où la lutte est circonscrite à la crise décisive dans laquelle se joue le bonheur ou le malheur de son existence. C'est la tragédie de Corneille et de Racine; c'est le cadre qui convient au xvn e siècle. Le xvnie le maintient, comme il conserve en apparence toutes les formes extérieures de la société qu'a dominée le grand roi ; mais combien déjà la scène se modifie sous l'influence de Voltaire! Comme on sent déjà qu'un esprit nouveau circule; que le théâtre se préoccupe des questions contemporaines, et qu'à ces problèmes sociaux et politiques, dont on entrevoit l'avènement, il faudra plus d'espace et de temps que n'en réclamaient ces âmes, impalpables dans leur sublime spiritualité, qui avaient été les personnages tra- giques du xvir siècle ! La Révolution est venue; l'antique société a été emportée dans