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                                    REVUE CRITIQUE                              65

LE NOUVEAU DÉCAMÉRON. Première journée, Le temps d'aimer. — Paris,
  Dentu, 1885.


   De tous temps le conte et la nouvelle ont fait les délices de l'esprit français.
 « Né dans le flot pourpré du vin, comme la déesse du Désir dans le flot de la mer
amoureuse, le conte français, dont Balzac a continué la tradition dans ses trois
dizains de Contes drolatiques, le conte français, vif, alerte, envolé, n'est que gaieté
et robuste allégresse, et s'il enivre, son ivresse n'est pas malfaisante, non plus que
celle de nos généreux vins qui réchauffent le cœur et inspirent la bravoure. »
Ainsi s'exprime, dans une page étincelante de Paris vécu, Théodore de Banville,
qui est lui-même un merveilleux conteur.
   Cette littérature, en apparence frivole, inutile, est de toutes celle qui a le mieux
survécu. C'est elle où se trouvent reproduites le plus fidèlement les mœurs et les
habitudes des époques disparues. Aujourd'hui le conte est plus que jamais en
faveur. Prose ou vers, toute forme lui est bonne. Il est un peu, en littérature, ce
que le sonnet est en poésie. Il lui faut un trait, un incident, un rien, et sur cette
donnée souvent vulgaire la fantaisie brode ses arabesques. Il rit et il pleure, il est
tantôt doucement ému, tantôt ironiquement sceptique. Il se prête à tous les tours.
Et, prérogative toute spéciale, sa brièveté ne laisse pas à l'ennui le temps de naître.
   Il s'est trouvé, ces derniers temps, qu'un hasard intelligent (il ne se faut étonner
de rien : le hasard est souvent plus intelligent que les profonds penseurs, même
réunis en congrès) avait rassemblé au château de la marquise Thérèse de Lionne
la fleur du panier de nos écrivains parisiens. On avait projeté pour le lendemain
une belle partie de campagne, quand la pluie vint bouleverser tous les plans. Ce
n'était point à vrai dire une pluie ordinaire. La nature en est absolument particu-
lière, et les effets qu'elle produit ont quelque chose de prodigieux. C'est une pluie
de ce genre qui fit éclore jadis les Contes de la reine de Navarre et le Décaméron de
Jean Boccace.
   Fut-ce l'effet de l'ondée ou celui d'un dessein dès longtemps arrêté dans l'esprit
des dieux immortels? Les hôtes de la marquise, qui ne sont point gens à tambou-
riner sur les vitres en attendant que l'orage ait cessé, décidèrent que chacun à tour
de rôle conterait une histoire et que, pour assurer le maintien de l'ordre, chaque
jour le sceptre serait remis à une reine, assistée d'un roi, dont les commandements
seraient souverains.
   C'est ainsi que naquit le Nouveau Décaméron dont l'éditeur Dentu vient de nous
donner, en un fort élégant volume, la première journée.
   Ils étaient là, les princes du conte, de la chronique et du roman : Théodore de
Banville, qui connaît si parfaitement les mille recoins de l'âme parisienne et qui
sait faire mouvoir dans ce milieu moderne les éblouissants personnages des féeries
capricieuses; François Coppée; Guy de Maupassant, un des plus vaillants; Léon
            K° 49. — Janvier 1S8;                                   5