page suivante »
BIBLIOGRAPHIE 601
coup de fortune. Ils étaient malchanceux toujours et étourdis quand même. Ils
n'ont jamais pu faire arrêter la roue au numéro qui gagne. Faméliques et noc-
tambules, ils criaient des vers aux e'toiles, ils parlaient de laper l'Océan d'un coup
de langue, de mordre à belles dents la crinière du soleil, et la Seine qu'il
côtoyaient remuait dans son eau trouble leur ombre grêle et grimaçante. Allant
toujours comme des va-nu-pieds, la rime sonnante en tête et la faim grondante
au ventre. « Impossibles, » bizarres, « emballés, » conteurs de farces ou faiseurs
de boniments. Tassés dans la misère d'un coin de Paris, comme un amas de
pierres sur le grand chemin. Pauvres diables, bien dignes d'un souvenir et
d'une larme.
Des pages émues et des pages spirituelles aussi, un portrait d'Honoré Daumier,
lestement enlevé, fait de chic, en pleine verve d'atelier, entre une chanson gaie
et une boutade triste. De l'esprit partout, de l'esprit qui mousse, et de l'entrain
qui allume. De grands courants, de ci, de là des morceaux grandiosement bâclés,
avec l'ancienne fièvre de mil huit cent trente, De l'âme,
la sainte ironie,
La patience, la fierté,
Le culte obstiné du génie,
L'amour de l'âpre liberté *.
Le dédain des sots et des « petits crevés »; la griserie de tout ce qui est jeune,
sonore et vibrant d'enthousiasme ; l'extase du beau, l'émerveillement de la
couleur, des ciels lumineux, des ors et des azurs; la religion des poètes meurt
de faim et le. culte des vieilles amours, de cette Ode flamboyante qui a replié ses
ailes lasses sur les cimes oubliées. Dans le pêle-mêle de ces nouveaux hommes
adorant d'autres idoles, M. de Banville a jeté son livre comme, la retentissante
histoire d'un glorieux passé. « Souvenirs » qui sont des regrets. En art, on
bataille sans cesse, on va, en avant ou en arrière, qu'en sais-je ? mais toujours
au milieu d'affûts brisés. Les morts vont vite et les renommées aussi. Le roman-
tisme a eu sa grande heure. Aujourd'hui il est un vieux parent pauvre, assis Ã
la table commune, on lui marche sur le pied 'quand il parle et les enfants lui
font la grimace. MARIUS JOULIE.
FANTAISIES, avec un précepte d'Horace dessiné et gravé à l'eau-forte par
l'auteur, par EUGÈNE MOUTON (Mérinos). — Paris, Charpentier. 1883. — Un
vol. in-18. Prix; 3 tv. 50.
Ce volume constitue la troisième partie de la réédition notablement augmentée
des Nouvelles et Fantaisies humoristiques publiées par l'auteur en 1872 et
1876. Le succès qui a accueilli l'ouvrage à son apparition ne peut manquer de
s'affirmer davantage et d'aller toujours croissant.
L'humour, cette qualité indéfinissable du style, n'est plus aujourd'hui ce qu'elle
tétait au temps de Xavier de Maistre et de Sterne. La sensibilité n'y est poin
oujours exempte d'un certain scepticisme qui en fait le côté moderne ; le tont
est moins attendri, moins larmoyant ; il est, au contraire, plus plaisant : là où nos
pères versaient une larme bien sentimentale, nous ne pouvons nous empêcher de
* Odes funambulesques.