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                    SALON DE 1 8 8 3 — S C U L P T U R E             533
 le carquois de son jeune compagnon, les traits redoutables que
 celui-ci s'amuse à lancer sur le monde. Mais, en y réfléchissant, ou
 ne tarde pas à s'apercevoir que c'est là tout bonnement une de ces
 jolies petites idées dont les Italiens sont si friands, et qui con-
 viennent cependant si peu à l'art austère et grave de la statuaire.
 Alors on abandonne ce groupe, on s'adresse à l'autre œuvre de
 M. Cordonnier, on vient lire le poème qu'il a voulu lui aussi écrire,
 après tant d'autres, sur les charmes du printemps , sur l'éternelle
 grâce de là jeunesse ; et là du moins on éprouve une émotion
 durable. C'est avec un plaisir que l'analyse ne détruit pas, qu'on
 s'arrête devant cette jeune fille dont les belles formes nues sem-
 blent vêtues encore de la chastetéde l'enfance; qu'on admire la
 candeur de son front honnête, la pureté de son corps délicat qui
 tressaille pour la première fois de l'émotion des sens au souffle tiède
 et caressant d'une soirée de printemps, tandis qu'à côté d'elle un
 dieu terme surgit tout à coup de sa gaine de pierre, et murmure
 à son oreille de vierge je ne sais quels propos mystérieux qui l'éton-
 nentet l'inquiètent, et pourtant la retiennent attendrie et charmée.
 C'est décrire avec autant de poésie que de grâce le trouble qui
 s'empare de la femme à l'époque indécise et mystérieuse où la
jeunesse succède en elle à l'enfance. Et je me demande un« fois
 de plus, en présence de cette œuvre charmante, comment on peut
 si injustement se plaindre de la froideur et de l'insensibilité du
 marbre. Non, la langue que parle le sculpteur, pour être distincte
•de celle que parle le peintre ou l'écrivain, ne cesse pas d'être expres-
sive. Le sculpteur a, pour exprimer les troubles et les rêves de son
âme, d'autres moyens queceux dontle peintre et l'écrivain disposent.
Mais s'il est un véritable artiste, son langage sera puissant aussi
 pour agir sur nos coeurs.
    Du Printemps, de M. Cordonnier, il faut rapprocher la Jeu-
nesse, de M. Antonin Cariés, qui, elle encore,est une œuvre char-
mante., bien que conçue différemment. On y trouve également beau-
coup d'innocence et de candeur, et comme un souvenir discret de
l'art naïf et pur de la fin du quinzième siècle. La Tentation, de
M. Lambert, sans avoir la même importance, a cependant aussi sa
valeur. Elle ne manque pas d'une certaine-grâce sous ses formes un
peu grêles,qu'on reverra volontiers, lorsqu'elle reparaîtra enmarbre.