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390 LA REVUE LYONNAISE
— Le paysan se prive moins de jouir qu'il ne jouit de se priver.
— Tout campagnard qui apprend à lire et à écrire renonce dans son cÅ“ur Ã
la campagne.
— Le paysan qui va s'établir en ville tombe par son propre poids dans les
bas- fonds.
— Le campagnard est trop enfant pour n'être pas menteur.
:—En Théocrite et Virgile, André Ghenier et Florian, vous n'imaginez pas que
le paysan, quand il chante, chante autre choses que la belle nature, l'amour
honnête, Dieu, l'Eglise, le foyer, le printemps, les fleurs, les fruits et ce qui
ressemble atout cela... Illusion! le paysan met son esprit à hurler des bêtises,
son cœur à miauler des gaudrioles.
On retrouve dans toutes ces pensées du poète l'amertume d'une solitude subie
parfois à contre-cœur. Cette absence de poésie chez le paysan, cette brutalité
• païenne, cette iaconscienee fatale d'une grande action, d'une coopération à l'œuvre
divine, désenchantent le rêve de l'observateur, presque au point de lui faire
étendre son scepticisme à la nature elle-même. Il n'ira pourtant pas si loin. Les
souvenirs d'un grand passé dont il a nourri son enfance sont inséparables pour
lui du sol ingrat qui s'y rattache. Tout ce bas Limousin lui appartient en
propre, il lui a voué son esprit — non toutefois sans récompense.
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« De tout ce que j'écris restera-t-il quelque chose et qu'est-ce qui en l'estera ?
— dit-il, un peu comme Joubert, au premier chapitre de ses Pensées, — si j'obtiens
du renom, Ã quoi le devrai-je?A mon grand dictionnaire limousin? A mes Chan-
sous lemouzinas? A mes études épigraphiquesi? A mes Hymnes et Poèmes? A
mes Souvenirs de Lourdes? A ces Maximes, 'Etudes et Images? Je voudrais le
savoir, mais comment le savoir ? Laissons à l'avenir ses secrets, et confions-nous
à Dieu. » Nous avons jugé les poésies françaises; nous n'oserions donner la palme
à de simples travaux de compilation. Il ne reste donc en présence que les vers
limousins et les maximes françaises. Nous ne déciderons pas.
Ce mélancolique souci de la postérité (que nous demandons pardon au poète de
surprendre si indiscrètement) pour une œuvre encore inédite, et qu'il pouvait
désespérer, à l'heure où il écrivait ces lignes, de voir publier jamais, nous ramène
involontairement à la condition de sa vie.
Il y a, dans cet isolement d'un penseur et d'un grand poète, quelque chose qui
serre le cœur. « Si la ville a ses inquiétudes, la campagne a ses tristesses, » nous
écrivait-il une fois. Nous le comprenons tout à fait devaut l'indigence actuelle
d'un bas Limousin, pauvre d'idées, pauvre d'actions, pauvre d'hommes !
Un vif attrait de sympathie devait cependant faire entrer Joseph Roux dans
le commerce littéraire de quelques esprits éminents dont l'amitié allait rayonner
sur sa vie. Nous parlons de Mistral, du philologue Roqueferrier et du regretté
Antoine de Latour, ce maître des hispanisants en Europe, avec lequel il entretint
une correspondance que nous ne désespérons pas de voir bientôt publier.
Un jour, aussi, cette âme s'est penchée vers nous. Nous nous sommes laissé
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Sur les inscriptions de Gahors, Qimel, Saint-Viance, et le château de Montai.
Tulle, J. Mazerien (1878-188?),