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                            AUGUSTE FOURÈS                                      127
vous faites un bel usage de certains vocables d'une rusticité puissante, qu'il est
bon de remettre en honneur. »
    En 1878 enfin, if réunit sous ce titre : Coureurs de grands chemins et bat-
teurs de pavés une série de figures nomades, à empreinte de médaille, dans le
module du Gaspard de la nuit, de Louis Bertrand. On a évoqué, pour une sur-
toutj pleine de sève, Faradja, histoire de tziganes, le souvenir de Paul de Saint-
Victor. C'est bien plutôt de Liszt qu'il fallait parler. Ses Bohémiens, si étranges,
semblent pères des saltimbanques de Pourès. Nous les croyons supérieurs ; l'ar-
chaïsme et le néologisme y sont moins audacieux. Ici que trouvons-nous? De
l'intention (et de la prétention) plutôt qu'une vraie valeur définitive. C'est grand
dommage, car on y sent une originalité très réelle sous une rare exubérance. Ces
défauts et ces qualités de l'œuvre française de Fourès sont évidemment plus
palpables dans la prose que dans les vers. Il semble s'épurer, dans la langue des
dieux. Une de ses dernières poésies, la Forêt, en est l'éclatante preuve. Mais
j'avoue, pour mon compte, préférer encore aux poésies françaises de Fourès,
même des mieux frappées, ses poésies languedociennes, qui, sans avoir leur dé-
 fauts d'archaïsme, ont du moins toutes leurs qualités.
    On sait qu'il prépare deux volumes : les Grilhs et les Chants du soleil. Qu'on-
nous les laisse déflorer ; ces plantes-là poussent vite leurs fleurs. Et d'abord ren-
dons grâce au dieu de la jeunesse. Il nous vaut ici deux chefs-d'œuvre : lou Gar-
 rabié (l'Églantier), page d'amour charmante, ressouvenir mélancolique embaumé
 de printemps, et ce sonnet la Bago a"aï. Un docte allemand nous dirait que Fourès
 a su y combiner les deux qualités maîtresses de son esprit : l'humour lyrique de
 Henry Heine et l'humour artistique de Soul'ary. Ce n'est pas à dire qu'il soit un
 humoriste ; loin de là. Mais il laisse voir quelquefois les palpitations du lyrisme
 sous un vers toujours ciselé. Écoutez cette plainte :
     « Je donnai un petit anneau de verre, mince, luisant, bleu comme le ciel, à la
 petite amie que j'aime encore, qui de fougueux m'a fait agneau.
   . « Ah! d'un trait je voudrais le boire, dit-elle en admirant l'anneau; mon
 « amour, va, n'en doute pas, vivra dans mon cœur tant que lui. » A son petit
 doigt fuselé, aussi charmant que sa joue lisse et fraîche, elle fit virer ma bagne
 d'aïe, qui craqua, hélas ! et, comme l'alouette s'enfuit ma petite amie, — elle m'a
 fendu le cœur pour jamais. »
     C'est l'éternelle et malheureuse histoire; car la femme, comme disait hier
 M. Blaze de Bury dans une admirable étude sur le poète Arvers, est « l'être
 essentiellement réfractaire aux choses de la poésie quand- son amour-propre n'y
 est point intéressé, et qui ne comprend vos vers et vos hommages que le jour où
 votre gloire les lui renvoie et que vous avez fait d'elle une Elvire » i.
     La série des patriotiques (on nous laissera dire ainsi) découvre une note
 Vibrante chez Auguste Fourès. 11 .chante le Languedoc, ses malheurs et sa gran-
  deur passée, et, tout au fond, sur le ciel, se découpe la brune silhouette des murs
 de Castelnaudary ou des remparts de Carcassonne. Ce patriote farouche semble
  porter le deuil des Albigeois, martyrs de la croisade. Il a une ode fort belle
 A-n-uno espasoqne Napoléon Peyrat juge ainsi : «Un laboureur a déterré l'épée
 de Montfort, le poète apostrophe le glaive maudit; et pendant son objurgation, le
 fer souillé de sang et de pleurs tombe en poudre et rentre comme un dragon dans

   i Revue des Deux-Mondes, 1" février 1883.