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32 LA REVUE LYONNAISE Au- temps où l'excellent Bernardin de Saint-Pierre construisait sa chaumière, les parias épousaient des Brahmines et résolvaient haut la main les questions philosophiques qui avaient embarrassé les académies anglaises : « Ma pagode, disait l'un d'eux, c'est la nature. J'adore son auteur au lever du soleil, et je le bénis à son coucher. Instruit par le malheur, jamais je ne refuse mon secours à un plus malheureux que moi. Je tâche de rendre heureux ma femme, mon enfant et même mon chat et mon chien. J'attends la mort à la fin delà vie, comme un doux sommeil à la fin du jour. » . Le bon docteur anglais lui offre une montre d'or pour reconnaître son hospitalité. Il répond que les oiseaux, en chantant les heures, remplacent avantageusement la montre qui les sonne. Le docteur lui offre des cordons de corail pour faire des colliers rouges à sa femme et à son enfant. Il répond que sa femme et son enfant ne manqueront jamais de colliers rouges tant que son jardin pro-: duira des pois d'angole. « Acceptez donc, dit le docteur à bout d'arguments, ces pistolets, pour vous défendre des voleurs dans votre solitude. — La pauvreté, réplique l'Indien, est un rempart qui éloigne de nous les voleurs. L'argent dont vos armes sont garnies suffirait pour les attirer. Au nom de Dieu qui nous protège et de qui nous attendons notre récompense, ne nous enlevez pas le prix de notre hospitalité. » Ces superbes maximes encadrent, dans l'édition que j'ai vue, deux gravures délicieuses. La première représente une cabane au milieu des forêts. Dans le fond, une femme accroupie, les seins nus, berce un petit enfant qui dort du sommeil de l'innocence. Le paria, les oreilles ornées d'anneaux gigantesques, s'avance timidement, en dessinant une révérence au-devant du bon docteur anglais. Ce der- nier, qui a une joyeuse figure de mousquetaire, et que les études philosophiques n'ont pas maigri, porte d'une main un sac de voyage, de l'autre une pipe et un pistolet. Un chat et un chien reflètent dans leurs attitudes les bonnes dispositions des personnages. Dans la seconde gravure, une lune pâle se lève au front d'un ciel brouillé, des pierres tumulaires jonchent le sol, une jeune Brah- mine, la même que ci-devant, toujours les seins nus, des bracelets