page suivante »
410 LA R E V U E LYONNAISE Louis XVIII et Charles X, c'était un royaliste sincère, devant aboutir non moins sincèrement au plus ardent radicalisme. Ce n'est qu'en 1841, à l'âge de trente-neuf ans, qu'il força les portes de cette Académie française, où on avait tant de peine à lui pardon- ner ses succès. Sans doute il est bien loin d'avoir été toujours irréprochable, dans ses actes comme dans ses écrits. En vivant, autant qu'en rimant, il a plus d'une fois trop sacrifié à la manie incurable des antithèses et des hyperboles. S'il est excusé par son immense talent, son orgueil n'en est pas moins excessif. Quand il se nomme lui-même : un obscur travailleur, celui qui écrit ces lignes, sa pensée évidemment dépasse de beaucoup sa phrase. En fait de critique sur lui, il n'admet que l'admiration. Tout son livre sur Shakspeareaétéunhymne, à peine déguisé, en l'honneur de sa propre gloire. N'y a-t-il pas dit ou fait entendre ceci: « Le génie est tout d'une pièce ; il faut l'accepter entier ou le repousser entier. L'œuvre du génie est un temple, où l'on doit entrer tête nue et en silence. On ne chicane pas le génie : admirez, rendez grâces et taisez-vous. Le génie n'a pas de défauts ; ses défauts sont l'envers de ses qualités : voilà tout. » Rien de plus de clair, on le voit; mais qu'en auraient pensé nos grands hommes du dix-septième siècle, si humbles devant le public? Hugo, naïvement vaniteux comme Cicéron et Lamartine, n'avait pas de ces timidités puériles. Un jour il refusa de laisser jouer un de ses drames, parce qu'un autre auteur venait de traiter le même sujet : « Je ne veux pas, s'écria-t-il, de comparaison. » Un éditeur avait l'intention de pu- blier un choix de ses poésies, comme s'il y avait à choisir entre elles; peut-être s'agissait-il du recueil intitulé: les Enfants, Livre des mères, qui parut en 1858, ne contenant que ceux de ses vers qui étaient consacrés à l'enfance. Il lui répondit avec un sourire candide : « Vous me faites l'effet d'un homme qui, mon- trant danssa main des pierres ramassées sur le Mont-Blanc, croirait [ouvoir dire aux gens : Voilà le Mont-Blanc! » Un journaliste ayant eu l'audace de déclarer qu'avec tout son talent l'esprit lui manquait, il répliqua superbement : « Dire d'un homme de génie qu'il n'a pas d'esprit est une grande consolation pour les nom- breux hommes d'esprit qui n'ont pas de génie. » Ses diverses retraites : cellesde l'impasse des Feuillantines et de la