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DU SUICIDE 95 socialion si forte qu'elle subsiste encore aujourd'hui et qu'elle a plus d'une fois retenu le bras d'un malheureux prêta se frapper. L'É- tat, n'ayant pas à sa disposition une sanctionaussi terrible, ne peut rien faire de semblable. Mais ce qu'il pourrait peut-être faire, ce serait de mettre l'apologie du suicide sur le même rang que celle des faits qualifiés crimes et de la punir de la même peine. Il pourrait aussi interdire aux feuilles publiques le récit détaillé et la peinture émouvante des suicides qui se commettent journellement, à cause de leur caractère contagieux. Le bruit que fait un crime donne, en effet, l'idée, le désir, la volonté de le commettre à beaucoup d'hommes qui y étaient certainement prédisposés, mais qui n'y songeaient pas et qui sans cette circonstance ne l'eussent jamais commis. Mais quelles que soient les mesures que prendra le législateur, il doit songer, en les prenant, que le suicide est moins une infraction aux devoirs so- ciaux qu'aux devoirs individuels, qu'il relève moins du Code que de la conscience, de la politique que de la morale, et que, par con- séquent, il ne saurait y toucher qu'avec une extrême discrétion. Quel remède la morale peut-elle donc proposer pour guérir les hommes de la maladie du suicide? Un remède à la fois très gé- néral et très simple, je veux dire la pratique de la morale elle- même. Par cela seul qu'elle donne à l'homme la santé de l'âme, elle empêche quela pensée du suicide puisse même l'effleurer. Dès qu'il remplit régulièrement les grandes fonctions de son être et trouve, comme cela arrive nécessairement, son bonheur à les remplir, il ne peut pas songer à quitter une vie qui est aussi heureuse que vertueuse. Si l'homme conçoit la pensée du suicide, c'est qu'il n'est pas dans l'ordre, c'est qu'il s'est produit en lui quelque perturba- tion, c'est qu'il a commis quelque infraction manifeste ou cachée aux lois qui doivent le régir. Or ces lois, qui sont précisément celles de la morale, se résument toutes dans une seule, c'est que l'homme doit vivre en homme, c'est-à -dire prévenir ou détruire les passions, qui attaquent savie'morale, et fortifier sa raison et sa volonté, qui constituent sa vie morale elle-même. Ce qui rend les passions si envahissantes et si dangereuses, c'est que l'imagination met à leur service tous ses prestiges, en même temps qu'elle reçoit d'elles toute sa vivacité. A peine un objet a-t-il remué notre sensibilité que notre imagination émue nous le repré-