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94 LA R E V U E LYONNAISE cide? C'est la paresse, l'ivrognerie, la débauche, l'amour du jeu, c'est-à -dire la passion sous toutes ses formes. Par cela seul que la morale combat la passion, elle combat donc la misère elle-même- La politique doit-elle intervenir autrement encore dans la mé - dication de cette maladie morale qu'on nomme le suicide? C'est là une question difficile et délicate. A certaines époques, les peuples et les gouvernements ont, comme on sait, promulgué des lois pé- nales contre la mort volontaire. Chez les Thébains, la mémoire du suicidé était solennellement flétrie; chez les Athéniens, on lui coupait la main et on la laissait sans sépulture ; le reste du corps était enseveli sans honneur. Sous l'ancienne législation française, le cadavre du malheureux était traîné dans les rues, sur une claie, et ses biens étaient confisqués : « Aujourd'hui, dit Dangeau dans ses Mémoires, le roi a donné à Mme la Dauphine un homme qui s'est tué lui-même : elle espère en tirer beaucoup d'argent. » Les dauphines recevaient alors de singuliers cadeaux ! De nos jours, la loi française n^inflige plus à celui qui s'est donné la mort aucun châtiment et il semble qu'elle a raison. Punir les suicidés, ce serait s'exposer à frapper les innocents en même temps que les coupables; car la folie détermine, nous l'avons vu, au moins le tiers des suicides, et on n'est jamais bien sûr que les autres n'aient pas été provoqués par cette cause, puisqu'elle peut agir instantanément et ne se manifester que par l'acte même. En outre le châtiment infligé au suicidé, au lieu de restreindre le nombre des suicides, pourrait très bien les multiplier. On ne s'étonnera pas de cette assertion, si l'on songe au caractère contagieux de cette actiomet à la liaison qu'elle a avec le système n e rveux. Enfin, la peine frapperait la famille du coupable plutôt que le coupable lui- même. Or, n'est-elle pas déjà assez malheureuse d'avoir perdu un de ses membres d'une manière aussi tragique et sans qu'il y ait de sa faute? Faut-il que la loi intervienne pour ajouter encore à son infortune imméritée? Cependant il semble que l'homme, qui. a tant fait pour modifier les phénomènes de la nature, doit pouvoir faire quelque chose pour modifier ce phénomène social qu'on appelle le suicide. En privant le suicidé de la sépulture chrétienne, l'Eglise avait établi entre l'idée du meurtre de soi-même et celle de la damnation éternelle une as-