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6 LA REVUE LYONNAISE par d'autres penchants dans les péripéties diverses de la bataille de la vie. Le suicide a été apprécié fort différemment suivant les temps, les lieux, les croyances religieuses et les doctrines philosophiques. Dans les molles contrées de l'Inde, où l'activité personnelle est une fatigue, la vie individuelle paraît un mal plutôt qu'un bien : la seule vie véritable est le nirvana, c'est- à -dire la vie qu'on vit au sein de l'Être infini, de la substance universelle. Aussi le suicide y a--t-il été en honneur dès la plus haute antiquité. Un des gymnosophistes ou brahmanes que rencontra l'armée d'Alexandre, Galanus, monta, comme on sait, sur un bûcher et se brûla aux yeux du conquérant. Aujourd'hui encore, des milliers d'hommes de ces régions, après s'être exténués de macérations et de jeûnes, se précipitent sous [es roues de l'idole Djaggernat ou se font couler, en chantant des hym- nes, dans des barques poussées, à cet effet, en pleine mer. Chez les Gaulois nos ancêtres, le suicide n'était pas moins commun. C'est qu'à leurs yeux la mort n'était pas la mort, mais un simple chan- gement de résidence, un simple passage dans un autre monde, dans quelqu'un des astres qui brillent sur le fond azuré du firma- ment. De là leur merveilleux courage dans les combats. Pourquoi, en effet, dit Lucain, auraient-ils ménagé une vie qui devait sitôt leur revenir? Seulement la vie future n'était pas pour eux, comme pour les paisibles habitants de l'Inde, une vie de repos, mais une vie d'activité énergique, comme la vie présente, et où la personna- lité conservait toute sa force et tout son ressort. Quant aux philosophes grecs, ils étaient partagés d'opinion sur le suicide. Les platoniciens et les péripatéticiens le regardaient comme un crime, tandis que les épicuriens et les stoïciens y voyaient un acte louable ou tout au moins indiffèrent. Suivant Platon, les dieux nous ont placés dans la vie comme dans un poste qu'il ne nous est pas permis de quitter sans leur permission. EQ sortir avant d'en avoir reçu l'ordre formel, c'est manquer à tous nos devoirs L Ail- leurs il revient sur 'cette question. Il se demande quelle peine il convient d'infliger à celui qui, par faiblesse et par lâcheté, a tran- ché lui-même le fil de ses jours, sans y être poussé ni par un mal- heur affreux ni par un opprobre de nature à lui rendre la vie odieu- 1 Platon, Phédon.