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— 86 — Dans un article dithyrambique, intitulé « les Femmes vues à Bellecour », le grave Journal du Commerce engage ses lecteurs à abandonner, pour les Tilleuls, les platanes souffreteux du quai du Rhône » et le quai de Retz alors en vogue. L'auteur de cette réclame est allé dîner au café du Pavillon ; il a admiré « la belle galerie, pareille à une salle de bal avec ses vitraux de couleur ». Le dîner qu'on lui sert est si copieux et si exquis, que son inquiétude est grande lorsqu'il s'aperçoit qu'il n'a sur lui que cinq francs... Mais, pour ce repas succulent on ne lui réclame que trois francs ! (16 juillet). Le Tocsin proclame que le Pavillon est, à Lyon, le café « Fleur des pois ». Il n'y a que l'aristocratie qui « y prenne ses habitudes journalières » et c'est « le seul établisse- ment où les femmes du monde osent entrer ». Il faut avoir infiniment d'esprit pour être bien vu des garçons et surtout du chef — un Vatel. Après le restaurant Caillot, digne de Lucullus, celui de Girard mérite sûrement la seconde place ; ses repas à trois francs, avec poisson et gibier, sont au-dessus de tout éloge. C'est au Pavillon que « Salomon conduirait la Reine de Saba » (27 mai ,17 juin 1838). Le Courrier de Lyon recommandait pareillement « ce bel établissement que la bonne société a, depuis longtemps, pris sous sa protection » et qui va devenir « un véritable Eldorado » (18 octobre 1838). Mieux encore que ces réclames, bénévoles ou payées, l'organisation, depuis 1834, de divers concerts et surtout de « concerts Musard », contribua à mettre en vogue le Pavillon de Bellecour. Le premier concert Musard fut donné le samedi 9 décembre 1836 et, depuis, chaque soir, de 7 à 10 heures, il y eut musique au Pavillon. En 1837, les auditions ne reprennent qu'à la fin de mai dans la « galerie si belle et si vaste » où M. Musard doit venir surveiller « les dernières répétitions des quadrilles des Huguenots » ; Girard n'obtient pas sans peine l'autorisation nécessaire. Le directeur des théâtres de Lyon, qui se plaint de cette concurrence musicale, parvient, en janvier 1838, à faire interdire les concerts Musard du Pavillon. Ils étaient alors dirigés, depuis un mois, par un jeune musicien du nom de Mesmer (ou Messe- mer), gagiste dans un des régiments de la garnison, et leurs quarante musiciens jouaient au milieu d'un parterre de fleurs. L'ouverture de la Dame Blanche leur avait valu un tel succès que le poète Joachim Duflot, rédacteur au Journal du Commerce, s'écriait dans son compte rendu : « N'envions pas à Paris, Musard, Strauss ou Valentino ! ». Un soir, par malheur, le jeune chef d'orchestre se prit de querelle avec Girard, son imprésario, et, conduit au corps de garde, injuria l'officier qui l'interrogeait. Il était soldat et justiciable du conseil de guerre, il fut condamné à cinq ans de fers et à la dégradation — on le gracia du reste peu de temps après. M. Schroder, qui l'avait remplacé, fit apprécier le Galop de la Norma. Girard engagea ensuite trois artistes styriens et un « pianiste distingué » qui tous