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2l8 PROMENADE TRANSJORDANtENNE longues carabines, ornées d'incrustations de cuivre, qui rayent les airs d'éclairs fauves. J'ai su plus tard que, si j'avais bousculé les enfants trop indiscrets, les femmes auraient poussé des cris à fendre l'âme. Les hommes seraient accourus ; bagages et vêtements seraient devenus leur proie, et j'aurais dû regagner dans le plus simple appareil les bords du Jourdain, à moins qu'il n'ait plu aux farouches montagnards de m'oublier au fond d'une citerne ou de me laisser en pâture aux autours. De pareilles extrémités ne se produisent pas. D'abord le yatagan du brigadier, qui n'est plus là , a dû être aperçu. Leftallah est marabout; moi-même, n'est ce pas au nom de Dieu que je voyage ? D'ailleurs, je n'ai point maltraité les enfants. Mais j'ai prudemment remis dans la valise et le sac tout ce qui en était sorti. Leftallah arrive maintenant, me déclare qu'il a bu et qu'il n'a pas faim. Le moukre et le brigadier ne veulent pas rompre le pain d'un chrétien. Leftallah aborde deux hommes qui passent près de nous et demande la route d'Hossum. Ils s'arrêtent, nous regardent, nous souhaitent les dons de ciel, et levant la main vers l'horizon disent que Dieu a fait le chemin long ; puis, ils montrent le soleil et laissent entendre qu'il aura disparu avant la fin de l'étape. Ce n'est guère encourageant pour des voyageurs déjà harassés. Nous chevauchons à travers un pays merveilleux, coupé de vallons, de verts coteaux, de bosquets?, de blés presque murs et de prairies. Ci et là des ruines, de beaux marbres, des vestiges d'enceinte. Partout de superbes juments sont suivies d'un poulain agile, gracieux, svelte, à la démarche indécise d'un enfant capricieux. Ces chevaux sont les plus beaux de la terre. Leur réputation est légendaire. Un Bédouin vendra sa femme, mais non sa jument.