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222                    HENRI HIGNAKD

perdu sa vigueur, son énergie première, rappelez-moi de
ce monde où je serai inutile, et, malgré mon indignité,
accordez-moi cette récompense infinie que vous avez pro-
mise aux hommes de bonne volonté!
   D'ailleurs je te l'avouerai, mon bon frère, quoique mes
douleurs fussent réelles, et qu'elles ne m'aient pas encore
quitté, j'ai reconnu que je les exagérais beaucoup. J'espère
bien que mes maladies ne sont pas mortelles, et permets-
moi de te le dire, les tiennes ne le sont pas plus. D'ailleurs,
si nous devons mourir jeunes, hâtons-nous donc de tra-
vailler, afin que le moment venu de présenter nos oeuvres
nous ne nous trouvions pas les mains vides, mais non,
nous ne mourrons pas. Songe combien d'hommes sont
nés faibles et débiles et ont cependant vécu très vieux.
   Voltaire fut languissant toute sa vie, et il n'est mort qu'à
plus de 80 ans ; Fonlenelk était condamné par les médecins
pendant sa jeunesse; il a presque atteint sa centième année.
Tâchons de mieux profiter qu'eux de notre vie.
   Cependant, s'il faut avoir de la confiance, il ne faut pas
être imprudents ; soigne ta santé, repose-toi un peu, et
surtout évite toute émotion trop forte. Lorsque tes tristesses
te reviennent, efforce-toi de penser à autre chose, fais-toi
violence; tu sais que le royaume de Dieu ne s'obtient que
par la violence. Aussi, et malgré la peine que cela peut te
faire, je te supplierai de ne pas lire Chénier. C'est un poète
très remarquable, mais c'est un de ces hommes qu'il faut
dominer, parce qu'ils ont eu des faiblesses, et iui, par
exemple, avait une imagination excessive. Il ne faut jamais
s'abandonner à lui, parce que si un aveugle conduit un autre
aveugle, ils tomberont tous deux dans la fosse. Plus tard,
je pourrai jouir de ce qu'il y a d'agréable, mais maintenant
que j'ai besoin de maîtres, je m'adresse à ces hommes