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                LETTRES DE L'ÉCOLE NORMALE                 215

qui jusqu'ici m'avaient été inconnus se révèlent à moi, et
ces découvertes me donnent des jouissances infinies.
   Et cependant, mon cher ami, depuis 15 ans jusqu'à 20,
il m'est arrivé plus de cent fois de me dire que j'étais
complet, que j'étais un homme fini ; qu'il ne me restait
plus à connaître que des formes diverses de ce que j'avais
déjà connu ; que je ne trouverais rien de nouveau sous le
soleil. J'étais bien fou. Maintenant-que j'ai 21 ans, je me
prends à réfléchir que tous les jours j'aperçois une foule de
choses dont je ne m'étais jamais douté. Je commence à
étudier les hommes qui m'entourent, et ils me sont aussi
inconnus que si je n'avais jamais vécu parmi eux. Je suis si
ignorant des institutions de mes semblable, que je serais
incapable de rendre compte même de l'organisation de mon
propre pays. Et quant aux choses de la nature, toutes les
pensées, tous les sentiments du père, de l'époux, du citoyen,
je ne puis pas même m'en faire une idée, et je les attends
avec impatience, parce que je suis sûr qu'ils m'apporteront de
nouvelles jouissances, de nouvelles raisons de bénir ce Dieu
qui m'a placé au milieu de tant de merveilles.
   Oh ! mon ami, ne disons jamais que tout est fini pour
nous. Et nous ne pourrons jamais le dire, si nous voulons
ouvrir les yeux et regarder ; si nous voulons ouvrir notre
cœur et aimer. La connaissance et l'amour sont deux
sources inépuisables de choses nouvelles.
   A une heure et demie mon mal de tête se dissipe. J'en
suis bien content, parce que je craignais qu'il persistât
jusqu'à lundi, et que j'aurai besoin de toute ma force
d'esprit. C'est un terrible fossé à franchir, mon ami, que
cette licence, et je crains bien de m'embourber au milieu.
A la grâce de Dieu ! Si je suis reçu je l'en louerai et je l'en
remercierai avec reconnaissance, parce que j'en serais bien