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LETTRES DE L'ÉCOLE NORMALE 59 lettre que j'écrirai à mon père, et je t'en donnerai quelques détails. Ce livre te préparera merveilleusement à lire d'autres ouvrages de philosophie, mais il ne faut pas lire cela comme un,roman ; il ne faut jamais passer à une phrase sans que la précédente soit bien comprise et bien retenue, il ne faut jamais abandonner une idée sans en avoir pris note, ni un chapitre sans en avoir fait une analyse détail- lée, de sorte qu'à la fin du livre on soit sûr de bien le posséder. Tu liras les deux discours préliminaires qui t'in- téresseront beaucoup. N'oublie pas non plus Descartes. Ce que tu m'as dit de l'étude de la philosophie était très juste, sauf un point. Il n'y a pas besoin pour cela de passer par le scepticisme, il suffit seulement de le connaître, de savoir quels sont les philosophes qui y ont abouti, et de se rendre compte des causes de cette singulière erreur, afin de pouvoir la combattre chez ceux où on la trouve et de pouvoir s'en préserver soi-même. Mais ici, j'ai un conseil à te donner à propos des discussions. Il te sera utile de causer quelquefois de religion avec ceux qui en parle- ront sérieusement, froidement, avec une bonne foi réelle, et un sincère amour de s'instruire. Mais, dès que la passion s'en mêlera, il faudra immédiatement te taire, quoiqu'il doive t'en coûter, et lors même qu'on attribuerait ce silence à l'impuissance de répondre. En effet, que pourraient les meilleures raisons du monde contre la passion ? Ainsi, si ton interlocuteur s'échauffe, s'il cherche un refuge dans la mauvaise foi, s'il se lance dans la discussion de faits histo- riques inconnus, laisse-le parler et abstiens-toi sur-le-champ. Tout ce que tu pourrais dire ne pourrait pas le convraincre, puisqu'il ne veut pas être convaincu et ce ne pourrait que l'irriter davantage contre une foi que nous devons faire aimer.