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SOUS LE PREMIER EMPIRE 229 sur-Marne, où elle s'installe à l'Auberge de la Pomme d'Or. Elle y reçoit bientôt les premiers témoignages de la douleur ressentie par ses amis. C'est d'abord Mmc de Staël qui s'exhale en plaintes amères : « Je ne peux pas vous parler (8) je me jette à vos pieds, je vous supplie de ne pas me haïr. Au nom du ciel mettez du zèle pour vous afin que je vive ! Tirez-vous de là ! Que je vous sache heureuse ! que votre admirable générosité ne vous ait pas perdue ! Ah, mon Dieu ! je n'ai pas ma tête à moi, mais je vous adore. Croyez-le et prouvez-moi que vous le sentez en vous occupant de vous-même, car je n'aurai de repos que si vous êtes hors de cet exil. Adieu, adieu. Quand vous reverrai-je ? pas dans ce monde. » C'est ensuite Mathieu de Montmorency dont les circon- locutions, vraiment singulières, donnent une idée de cette époque de surveillance et de délation: — Pour plaindre son amie sur son triste sort, il se garde bien de prononcer le mot d'exil ; il se borne à lui parler de l'accident survenu à sa santé, pareil à celui qu'il a éprouvé lui-même. Du reste, il s'en console aisément, il s'en félicite même, en se demandant si la Providence n'a pas voulu les rapprocher par ce petit martyre commun d'amitié. Durant son exil, Mmc Récamier s'impose toute la réserve que lui commandent assez sa jeunesse et son isolement. Il se fait d'ailleurs un triage dans ses relations : les âmes faibles, timorées ou ambitieuses, s'éloignent de l'exilée; mais tous les nobles et fiers caractères qui l'aiment sincè- (8) Ibid., p. 83.