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430 LE PREMIER AMOUR
de repos bien gagné, je me procurais deux autres montures,
sûres et pacifiques, pour la mère et la fille, car il n'existait
pas alors dans ces régions de route carrossable, et le sur-
lendemain de grand matin, nous partions tous les trois pour
notre singulier pèlerinage.
Nous remontâmes l'Ardèche jusqu'au Pont de la Beaume,
ainsi nommé d'une caverne ouverte dans la grande muraille
basaltique qui surplombe le village. En cet endroit venaient
converger jadis trois courants de laves coulant de trois val-
lées différentes. Les eaux se sont creusé depuis un passage
à travers les basaltes, en laissant à droite et à gauche ces
falaises à pic qu'on appelle Chaussées des Géants. Un sen-
tier qui domine la chaussée de droite, nous conduisit Ã
Jaujac puis à la Souche, à travers de magnifiques châtai-
gneraies.
De la Souche, la route grimpe péniblement jusqu'au
sommet de la vallée, qui forme un col appelé la Croix de
Bauzon, d'où l'on peut, par des chemins de troupeaux,
arriver à cheval jusques sur le plateau même du Tanargue.
Nous avions laissé la région des châtaigniers bien au-des-
sous du col. Nous voici dans le royaume des sapins, des
hêtres et des bouleaux. Les conifères prédominent. On
dirait qu'ils branlent la tète en nous voyant passer. Leur
verdure noire a quelque chose d'attristant, mais fait plus
vivement ressortir la verdure claire des prairies qui leur
succèdent.
Un petit berger nous dit avoir vu la veille le sorcier
occupé à herboriser à la lisière de la forêt des Chambons
et peu après, dans l'immense prairie, nous le rencontrâmes
lui-même avec Airelle et son accompagnement d'animaux.
Le Grand-Pâtre marchait comme d'habitude au milieu de
ses bêtes. Je ne l'avais pas vu depuis deux ou trois ans : il