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58 DEUX AMITIÉS captivait par son attachante conversation. Elle parlait fleurs avec M. Werner, ménage avec madame, livres avec Jules, le jeune écolier. Enfin elle sut inspirer pour sa personne, à cette respectable famille, un enthousiasme dont sont parfois très susceptibles les natures les plus calmes] et les plus réservées. Mme Dermont était veuve depuis moins d'un an, mais déjà elle avait échangé les longs crêpes de deuil pour un demi-deuil élégant, et à mesure que sa santé se raffermis- sait, elle variait ses toilettes autant que possible, et se parait presque comme dans une ville d'eaux, avec un art qui faisait ressortir son genre de beauté. A travers le tulle noir mou- cheté qui, pendant les grandes chaleurs, recouvrait seul ses bras et ses épaules, on pouvait apercevoir la blancheur remarquable de sa peau et le parfait modelé de ses formes. Ses grands yeux de velours noir, fendus à l'orientale, avaient une profondeur et un charme incomparables. Ses traits étaient réguliers ; ses cheveux noirs ne s'échappaient point en boucles rebelles comme ceux de Marie, mais ils brillaient comme le satin et s'enroulaient en nattes épaisses autour de sa tête. Sa voix avait une sonorité un peu drama- tique peut-être, sa taille et son port étaient ceux d'une reine. Marie était venue plusieurs fois chez Mme Werner dans le secret espoir d'apercevoir l'aimable parisienne, mais jamais le hasard ne l'avait favorisée. Tout ce qu'elle en- tendait dire de M"" Dermont, l'espèce de mystère dont celle-ci paraissait entourée, excitaient au plus haut degré la curiosité et l'intérêt de la jeune fille. Je n'affirmerai pas qu'elle ne lui adressât mentalement quelque élégie sur la perte d'un époux que la jeune poète se représentait doué de toutes les séductions, et dont elle supposait la veuve inconsolable.