page suivante »
UNE CRITIQUE D'OUTRE-RHIN 395
point été Germains, n'en connurent pas moins bien l'his-
toire de la Grèce antique. Thucydide place le retour des
Héraclides 80 ans après la prise de Troie et, d'après
Solinus, Homère mourut dans la 72 e année qui suivit ce
mémorable événement : concluons donc qu'Homère n'a
pas vu l'établissement des Doriens dans le Péloponnèse,
qui n'eut lieu que huit ans après sa mort. V. Paterculus
ajoute que 950 ans se sont écoulés entre Homère et lui
qui vivait sous Tibère, au commencement de l'ère chré-
tienne : ayons la bonne foi d'en inférer l'affirmation de
cette chronologie, aussi vraie qu'elle semble paradoxale,
d'après laquelle le siège de Troie ne peut pas être
remonté plus haut que les années 1032 à 1022 avant
notre ère, c'est-à -dire au temps du roi David. Cela n'aura
d'autre résultat que de diminuer d'environ un siècle et
demi, la période, de l'histoire hellénique qui s'écoule, vide
d'événements, entre l'émigration ionienne et l'époque
de Lycurgue. Je sais bien que pour en expliquer le vide
profond, il a plu à la critique moderne de nous rappeler
qu'elle est intermédiaire entre la légende et l'histoire :
« l'histoire, qui l'ignore, ne peut la raconter, dit M. de
Julleville (1); la légende n'ose suppléer au silence de l'his-
toire, en remplissant de ses fables le vide de ces deux
siècles Alors furent composées, au moins dans leur
forme primitive, les poésies homériques ; et sans doute
beaucoup d'autres épopées, perdues aujourd'hui. »
Cette hypothèse, qui rappelle par sa forme les plus
surprenantes du fameux livre de M. Renan, est suivie
d'un commentaire qui montre à quel point en arrivent
les esprits les plus érudits, livrés à la domination des
partis pris : « Grâce aux poètes, continue le savant pro-
fesseur, si nous ignorons les événements de cette période,
il n'en est aucune dont nous connaissions mieux les
mœurs. Ils ont en effet, selon la loi naturelle des litté-
ratures encore naïves, prêté aux héros des temps anciens
les sentiments et les coutumes de leurs contemporains.
Nous pouvons ainsi, en lisant Y Iliade et l'Odyssée, nous
figurer assez bien la Grèce telle qu'elle était à l'aurore
(1) Histoire Grecque par L. Petit de Julleville. Paris, Lemerre,
1875, page 22.