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VICTOR DE LAPRADE 213
Non, ce n'est pas le glaive d'une vengeance païenne que
le chantre miséricordieux des Poèmes évangéliques prétend
appeler a son aide pour détruire les abus, les crimes ou les
vices. Mais le chrétien, a l'exemple de son maître, chassera
les vendeurs du temple avec le fouet qu'on entend siffler
dans les Poèmes civiques.
En effet, ce livre, et c'est ce qui le distingue des Satires
de Gilbert et des ïambes de Barbier, ce livre est l'œuvre
d'un croyant, et cette œuvre elle-même est autant celle
d'une mère qui apprit à son frisa s'incliner devant la croix,
autant celle d'un père qui lui légua l'honneur comme le
premier des biens, que celle du poète, héritier de ce trésor
et de cette science. Demeuré fidèle à tout ce qui tombait,
témoin attristé de ia bassesse qui triomphe et de la bêtise
qui se propage, de l'hypocrisie infâme et de la plate servi-
tude, il a voulu transmettre a ses enfants l'amour de la vérité,
la haine du mensonge qu'il reçut de ses aïeux, et de ce
noble culte et de ce noble mépris sont nés, comme d'une
double source, les poèmes qui vont nous occuper.
Remarquez d'abord ee titre de poèmes donné a des satires.
C'est qu'au milieu des traits frémissants et souvent aigus
dont elles sont pour ainsi dire hérissées, on y voit éclater
encore la grande poésie des forêts et- des monts. Le poète
allait chercher dans ces hauts lieux plutôt des armes que des
fleurs, et il se taillait, dans les bois, des flèches dont les
coups lui font honneur. Ses forêts et ses Alpes ! toujours
un instinct l'y ramène, et lorsque du désert, il lui faut
revenir vers la ville, remplie de la fange des passions et des
cris de l'égoïsme, il y rentre avec ce froid mépris qui cause
le tourment de ceux qu'il atteint. Mépris d'ailleurs bien
mérité !
Le monde vénal n'offre aux yeux du poète, ami de la
vérité, que tribuns de la veille en habits de laquais, nobles