page suivante »
62 APPROCHE, SI TU ES HARDI !
II
SOUS LE POIRIER EN FLEUR.
Une fois que le petit valet eut logé dans sa tête le projet
extravagant de voir et de saisir la fayolle, il ne dormit
plus pour avoir l'âme plus affûtée ; il ne mangea pas son
appétit pour avoir le corps plus léger. Sitôt qu'arrivait la
brune, il jetait sur ses épaules la devantière de Ninette, la
fille des Mivière, et se glissait dans le pré, bien caché
sous une haie de grands noisetiers, Ã quinze pas du vieux
poirier.
Les bruits du soir ne s'écoutaient plus, les chars sur la
route, le tintin de la forge, le chant des pâtres, les aboie-
ments des chiens, tout se taisait. A peine on entendait
remuer les feuilles au vent, bruire la rivière et frapper les
taquets des moulins. Les tourterelles roucoulaient ; puis
rien, ou le cri de l'oiseau de la mort.
Mais tout n'était pas effrayant à cette heure avancée ;
mille odeurs enivrantes étaient répandues dans l'air frais
et doux, la vigne passant la fleur, les premiers foins étant
fauchés et les genêts de la montagne et l'aubépin donnant
tant de parfum que le cerveau du gars en était pénétré et
exalté comme s'il eût humé du vin nouveau.
L'œil fixé sur le tronc du poirier d'où l'apparition devait
sortir, il guettait toute la nuit, frissonnant au matin
et ne se retirant qu'Ã la pique du jour ; et les ouvriers de
chez Mivière et la Ninette de rire en voyant sa figure blêmie.
Le vieux Débenoît vint un jour au domaine et fit bien de si
beaux contes sur toutes les merveilles des rochers de l'en-
droit et sur la fée Idéah, que le gars s'enflammait à ses
récits, comme des chenevotes (1) dans un feu des bergers.
Mais le vieux lui enseigna diverses pratiques et des secrets
(1) Tiges de chanvre.