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406 LES CHASSEURS DE RENNES. Je commençais à m'endormir, torturé par la faim et par la science risquée de mon compagnon de captivité, lors- que je fus éveillé tout à coup par des cris horribles, mais grêles et sourds, dont je sentais toutes les vibrations me retentir dans le dos. Cela devait sortir du gosier du doc- teur et d'une poitrine plus souvent comprimée sur le bord d'une table que dilatée au grand air. Je crus à un événement tragique ; mais il n'en était rien heureuse- ment. Le docteur s'ennuj^ait de la solitude et désirait en- trer en relation avec les indigènes. Ne sachant dans quelle langue les interpeller, il avait recours à des ono- matopées. Après plusieurs appels réitérés , quelques hommes ar- rivèrent et avec eux celui qui nous avait fait garrotter. — Pourquoi cries-tu et que veux-tu ? demanda-t-il dans une langue qu'à ma grande surprise nous com- prenions l'un et l'autre; une langue étrange, bizarre, ce- pendant, composée de monosyllables et d'une pauvreté fort embarrassante pour des gens comme nous. — Y a-t-il un chef ici ? dit le docteur. — Non, il est parti. — Où est-il ? — Dans la lune. — Tu veux dire qu'il est mort ? — Non. Il n'y a que les rennes, les chevaux ou les hyènes qui meurent. Les grands chefs et les bons chas- seurs ne meurent pas, ils partent. — Etrange ! s'écria le docteur. Cette croyance à l'im- mortalité est une production et un besoin universels du cerveau de l'homme ! Le docteur expliquait tout par des productions et des besoins. Le moment n'étant pas opportun pour une dis- cussion métaphysique, je dus laisser passer cette ré-