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74 UN MARIAGE SOUS LES THOI'IQUES.
qu'il jugeait inculte, et qu'Ã force de tendresse on par-
viendrait à transfigurer la sauvage. Rodolphe avait donc
dans son père un appui muet contre les prévisions de sa
mère, ei quoique M. de Czernyi vît avec déplaisir son fils se
marier si jeune, ses craintes étaient moindres et son op-
position moins vive.
Quant à Wilhelmine son opinion n'avait point varié.
Dès le premier jour son cœur s'était révolté et sa logique
s'était trouvée d'accord avec son cœur. Chaque nuit se
passait dans les larmes et chaque matin elle essuyait ses
pleurs pour ne point affliger son fils, espérant vaguement
que le ciel ferait surgir quelque obstacle imprévu qui
sauverait son Rodolphe sans qu'elle eût à exprimer un
refus.
Les huit jours s'écoulèrent. Rodolphe avait tenu parole
et passé ce temps à la chasse. Mais il faut connaître bien
peu la force d'une passion naissante pour croire qu'une
semblable épreuve pût étouffer l'étincelle qui avait jailli
dans son sein. Il ne se rendait pas un compte bien exact
de son âme et n'aurait pu dire s'il était plus occupé de
son amour que de sa fortune à venir. Ces deux idées, nées
ensemble dans son imagination surexcitée, étaient si inti-
mement liées qu'il ne pouvait songer à sa réussite sans
voir en même temps Herminia lui sourire, et que l'image
de cette jeune fille planait au-dessus de tous ses projets
de travaux. La nature sauvage et déserte qu'il parcourait
augmentait encore la concentration de ses pensées, et
quand il revint au logis paternel il était plus ferme que
jamais dans sa première résolution. Il ne s'aperçut point,
dans sa préoccupation, que sa mère était pâle et défaite,
que sa voix recelait des sanglots et que les larmes
noyaient ses yeux sans se répandre. La jeunesse est
cruelle sans le savoir et sans le vouLùr. Il faut avoir souf-