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                    CHRONIQUE LOCALE
   En avant 1 est toujours le mot à la mode, le cri du jour, celui qu'on
entend partout.
   Chateaubriand racontait qu'en traversant le Liban il l'avait entendu
de la bouche des enfants, liers de prononcer un mot français devant
un Français. Depuis ce temps, le mot a fait du chemin.
   En avant ! c'est le fond de notre langue comme goddam celui de la
langue anglaise.
   On dit aussi : je cours, tu cours, je fais courir, c'est un signe qu'on
aime le progrès
   On dit merveille des prochaines courses. Les plus célèbres écuries
ont envoyé leurs meilleurs coureurs, tous nos sportsmen sont en l'air,
le turf en verra de belles.
   Mais tout le monde ne peut posséder un Racer, ils sont hors de
prix; et l'avoine, et le palefrenier , et le jockey? cela coûte plus
d'entretien qu'un pot de giroflée; et l'écurie? les loyers sont déjà si
chers !
   En avant ! un homme de génie a tout prévu. Le vélocipède est
inventé, c'est le coursier du pauvre. Sa généalogie est noble et an-
cienne , il descend de Tubalcaïn ; rien à dire de sa performance, elle
est parfaite ; il est docile, infatigable et ne mange pas.
   Dans l'énumération des âges, on appellera 1868 , l'année du vélo-
cipède, comme on dit de 1497, année de la découverte de l'Amérique.
   Une seule invention sera plus utile, l'art de se promener en ballon.
Alors et véritablement, l'humanité pourra crier : En avant, comme
les hirondelles; fendre les airs et parcourir l'espace comme tant de
races ailées et fugitives qui nous donnent en vain des leçons sans pou-
voir nous entraîner après elles, nous rois et maîtres de la création.
   Et encore, si nous connaissions bien ce misérable globe sur lequel
nous sommes attachés !.
   Car enfin, c'est une consolation pour l'oiseau de connaître sa cage;
il aime à sauter de la mangeoire à son nid, du sol aux barreaux, et à
visiter tous les petits coins de son domaine.
   L'homme moins privilégié, non seulement ne connaît pas cette pla-
nète qu'il foule et qu'il piétine, mais il lui est interdit de l'étudier.
   Qu'un érudit explore les berges de la Saône, qu'un autre épèle
une inscription d'un peuple ancien, qu'un troisième esquisse l'histoire
sanglante d'un château féodal, qu'un quatrième dessine l'escalier
contourné d'une maison de la Renaissance, quels cris dans le camp
des amis de la lumière, des penseurs, des philosophes, des hommes
de progrès et d'avenir ! quels hourras menaçants ! sus aux traîtres !
sus aux arriérés ! c'est à en prendre peur. —Vous étudiez le passé,
malheureux ! vous ne respectez donc ni Voltaire ni Musset ! « Vous
voulez donc opprimer le présent et nier l'avenir, (sic) » ce que cela
Veut dire, peu importe, on devine un mécontentement profond. «
L'archéologie est dangereuse. Ce qui fut, pour elle, est un dogme dont
l'immobilité est le symbole... Si son action n'était pas amoindrie par
les lois qui régissent le mouvement dans le monde physique et moral,
et qui condamnent à l'impuissance quiconque s'immobilise , elle se-
rait redoutable. Par bonheur, le plus souvent, elle n'est que ridicule. »
(Ouf!)
   «Qu'est-ce, dites-moi, que Cabanis, Goethe, Biron,Stendhal,Balzac,
Hugo; Vigny et ce polisson de Musset ? ( Musset polisson ? oh, Mon-
sieur ! ) Qu'est-ce que Quinet et Michelet? qu'est-ce que Lamartine et
LACHABB ? ces gens-là, Monsieur, ce sont nos maîtres. C'est parmi eux