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48 LE CHATEAU DE CARIIXAN. Je me trouvais au bord d'un ruisseau. L'eau passait à mes pieds mêmes, en froissant les tiges de quelques joncs ; puis elle s'endormait, molle et tranquille, sous le toit serré que lui formaient les nymphéas. Une perle brillait dans chacun des calices jaunes ou blancs de ces fleurs. Un grand verne plongeait ses branches dans l'onde, et, au travers d'une per- cée dans son feuillage, mes yeux erraient sans intention sur la campagne au delà . Je m'assis sur la berge humide et continuai à songer, en battant l'eau d'une branche arrachée au chemin... J'étais tellement absorbé par ma rêveuse contemplation, que je ne pris point garde au bruit d'une voiture qui s'appro- chait. Déjà il m'était impossible de sortir de cette position et elle me parut ridicule, quand, revenant à moi, je me rappe- lai que j'étais à quelques pas de la ville, où tout le monde me connaissait, et dont l'usage tyrannique reprenait sur moi tout son empire. Je n'avais pourtant qu'à ne pas remuer: je tournais le dos au chemin, je pouvais n'être pas reconnu. Mais la curiosité ne me permit pas de prendre ce parti si simple. Je regardai donc... et qui vis-je dans la voiture, lar- gement ouverte à l'air frais du matin? M. Laval et Margue- rite, qui, étonnée et rougissante, fit précipitamment le geste de baisser son voile. Moi-même aussitôt je me sentis profon- dément embarrassé et honteux d'être surpris ainsi dans la posture d'un amoureux de campagne. Tout occupé à regarder Marguerite, je me retrouvai, quand elle eut passé, le chapeau sur la tête, tenant niaisement ma branche de verne, armée de quelques feuilles à son extrémité, brandie comme une épée dans ma main maladroite. Je la jetai avec dépit, brisée, dans le ruisseau. J'étais fâché contre moi. Je me levai et fis quelques pas, comme pour m'éveiller. Bientôt, pourtant, je me pris à rire de moi-même et je me réjouis de cette rencontre comme d'une excellente