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TROIS MOIS AU-DELA DES ALPES. 461 galerie de portraits. Sans exagération, ils étaient les deux pôles de la bande : l'un était sentimental et rêveur, l'autre positif, allant droit a son but. Le premier enfin foulait le sol, heurtait les arbres sans les voir ; le second, au contraire, ramassait toutes les pierres qu'il croyait antiques sans ou- blier de prendre les meilleurs sentiers. Arrivés a Fracasti nous nous mîmes à table, soit pour sa- tisfaire un trop légitime appétit, soit pour voir venir l'évé- nement. Nos prévisions se réalisèrent. Tous les muletiers du pays attendaient nos ordres dans la cour ; sur ce, chacun enfourche le Pégase-Aliboron de son choix et nous atteignons en peu de temps la villa Aldobrandini qui domine les hauteurs de Frascati comme un diamant précieux surmonte la cou- ronne d'un souverain. Pendant que le Cicérone faisait à mes camarades l'historique de cette villa créée par le cardinal Aldo- brandini, neveu de Clément VIII, et dessinée par Jacques délia Porla, je me dirigeai au plus vite du côté du jardin pour être seul et admirer tout a mon aise. Toutes ces cas- cades qui descendent sur de larges dalles de marbre , tous ces arbres taillés comme les six faces d'un cercueil me pa- rurent du plus mauvais goût. J'accordai également toutes mes mélancoliques sympathies à tous ces pauvres dieux des jardins et des ondes a qui les propriétaires de ces lieux avaient mesuré l'espace et l'admiration des voyageurs. Je demandai a un jardinier, occupé à enlever la barbe postiche et légumineuse d'un Faune , si l'entrée de ce parc était accessible aux villageois du pays? — Et mon Dieu non ; mais que nous importe ? A nous l'espace , le soleil et la liberté d'action. A cet accent, a ce langage énergique , il était facile de reconnaître un Italien montagnard et je ren- trai dans l'intérieur de la villa. Ce jour-là je me contentai d'examiner un seul tableau. L'entrevue de David et d'Abighaïl du chevalier d'Arpino.