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ÉTUDE SUR LA LANGUE DES HÉBREUX. 399 au besoin , de sentir un goût de provenance, si l'on me permet cette expression vulgaire. Or, sous cette simplicité extrême du style biblique, respire un air antique qui tient des premiers jours de la création ; il s'exhale de là je ne sais quelles senteurs des déserts , qui rappellent la jeunesse du monde , le goût des premières impressions, la fraîcheur des premiers sentiments. C'est quelque chose de ce charme indescriptible qui s'attache aux airs simples et naïfs qui ont bercé notre enfance, et à ces poèmes ingénus qui ont été chantés sur le berceau des peuples. Les incorrections même et les insouciances de langage , enten- dues dans le texte primitif, sont pleines de finesse , de naturel et de grâce, et rien ne peut nous en donner une idée dans nos langues modernes : Dieu m'a changé un autre cœur, s'écrie, avec une heureuse transparence d'expression, l'humble berger ben- jamite que le prophète Samuel vient de sacrer roi, au milieu de ses pâturages. Quant à la marche irrégulière du style, aux idées à demi dessi- nées, aux images inachevées, aux phrases insoucieusement muti- lées , elles portent avec elles un air d'audace et de témérité qui brave presque toujours avec bonheur nos règles littéraires. Ces mâles pensées, ces fières images qui n'ont pas de quoi couvrir leur nudité , ou qui ne se donnent pas la peine de se draper dans un plus ample vêtement, se présentent à nous comme de nobles étrangères, venues des pays lointains sous leur costume inculte , mais qui par la grandeur et la beauté de leurs traits savent se faire donner l'hospitalité partout. Michel-Ange prend un bloc de marbre ; il va le frapper de son ciseau, et faire tomber à ses pieds l'enveloppe grossière qui cou- vre son Moïse. D'un premier coup, il fait ce front austère et re- cueilli, qui porte l'éternel souvenir de Dieu , qu'il a vu-, d'un se- cond coup, sous ces orbites profondes, sous ces paupières d'où le regard déborde, il place le feu de la pensée qui plonge au loin et cherche, dans les flots confus des siècles qui passent devant lui, la destinée des siècles à venir. Puis, quelques coups encore perdus çà etlà sur ce vaste manteau de pierre, et c'est tout. Mais avec ces quatre lignes inexplicables , il a fait le chef-d'œuvre de la sculp-