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LETTRES SUR LA SARDAIGNE. 365
thons jouent sur la surface de la mer, toujours prêts à repous-
ser les ennemis redoutables qui leur font la guerre. Poissons
voyageurs, on les a vus suivre un bâtiment pendant plusieurs
centaines de lieues, nageant à l'ombre de ses voiles, et dé-
vorant, avec avidité, tous ces restes substantiels que l'on
jette à la mer. La délicatesse du double sens de l'ouïe
et de la vue, très-développés chez ces animaux, explique
leur frayeur soudaine, et cette prudence merveilleuse,
qui ne les abandonne qu'à cette époque de l'année, où la
nécessité impérieuse de la ponte et de la fécondation des
œufs les forcent à se rapprocher du rivage. Dans la Médi-
terrannée, les plages solitaires de la Sardaigne sont les lieux
les plus ordinaires de leur rendez-vous ; ils y trouvent en
abondance le maquereau, et surtout la sardine dont ils sont
très-friands. C'est grâce à celle loi périodique de reproduction,
à cette voracité excessive, et aussi à leur audace dans le
danger, qu'on a pu choisir les époques, les lieux et les
moyens les plus propres à procurer une pêche abondante.
La thonnaire d'Asinara est la plus importante de la Sardai-
gne. Le mot thonnaire, en italien tonnara, est le nom du fi-
let dont on fait usage dans cette pêche, cependant il sert
aussi à désigner la pêche elle-même, ou l'endroit où elle a
lieu, et que l'on nomme également mandra, ou enclos.
Cependant, les bateaux des pécheurs dessinaient au loin
sur le rivage leurs silhouettes aiguës ; immobiles et silencieux,
aux rayons du soleil levant, comme l'immensité paisible des
flots qui les entouraient. Tout-à -coup les signaux, placés
sur les points culminants de la côte, annoncèrent l'arrivée
des thons. Ils s'avançaient rapidement, comme une légion de
soldats, les plus forts, les plus audacieux en tête, faisant bouil-
lonner les flots qu'ils refoulaient devant eux. On les voyait
au loin s'élancer, bondir sur la surface des eaux, cingler avec
la rapidité de la flèche, et lancer l'écume blanchissante sous