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360              LETTRES SDR LA SARDAIGNE.

de velours ; les nénuphars étalent sur la surface leurs larges
feuilles, et les herbes marines s'enlacent et se penchent
comme des serpents altérés ;
         Pour qui veut se noyer la place est bien choisie,

s'exclamerait encore, a coup sûr, Joseph Delorme. Souvent,
dans la campagne, on aperçoit, emporté au galop de son
cheval, une sombre figure, armée jusqu'aux dents. C'est un
bandit; les lambeaux bizarres qui forment son vêtement
attestent son origine suspecte, et alors, chaque voyageur d'exa-
miner ses armes et sa conscience, pour s'assurer si le poi-
gnard est encore à sa ceinture, ou s'il n'a pas dans sa vie
quelque vilaine action à se reprocher à l'endroit de son
prochain. Il n'y a plus au monde que la Sardaigne pour
rencontrer ces bandits honnêtes, assassins ou voleurs, quand
la nécessité ou l'honneur les y contraint ; esprits réformateurs,
ennemis acharnés du capital, de l'échange convenu du gain
et du travail; êtres indépendants, qui vivent au jour le jour,
trouvent leur pain quotidien, leur vin versé, et ne reconnais-
sent plus en fait de droits héréditaires que celui de la ven-
geance ; véritable type, en un mot, du socialiste moderne,
tel que l'a révô l'imagination fantastique du bourgeois.
   Parti le matin de Sassari, le soir on arrive à Tempio. Cette
ville est renommée en Sardaigne pour les armes qu'on y
fabrique, ses carabines surtout, dont la crosse, en éventail,
couverte d'incrustations de nacre ou d'acier, les fait ressem-
bler à ces espingoles catalanes ou à ces fusils arabes, objet
de convoitise pour les amateurs. Mais son premier litre à
la célébrité est l'excellence de sa charculerie. Les sau-
cissons de Tempio peuvent rivaliser avec ceux de Bologne
et même de Lyon, cette ville qui a bien besoin de la
supériorité de ses charcutiers, pour se faire pardonner ses
maisons noires et gigantesques, ses rues fétides et l'ineptie