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40 DES PASSIONS M. Saint-Marc Girardin ne lui a pas fait rendre tout ce qu'elle pouvait donner. La critique ne mérite point les triomphes qu'elle s'est dé- cernée avec une incontestable générosité. Cette puissance, si fort accrue depuis la révolution littéraire de 1830, a profilé habilement des circonstances que les temps lui ont faites : entre l'ancienne école ébranlée et la nouvelle à peine assise, plus de ces gloires incontestables que la durée a rendu saintes. Quel beau moment pour dogmatiser à l'aise et trancher de l'arislarque ! C'est une justice à rendre à la critique qu'elle en a amplement profité, non pour louer et féconder, mais pour blâmer et détruire. Découvrir le beau même altéré par quelques tâches, le populariser en en communiquant l'intel- ligence au public, c'est là une œuvre plus difficile que de prendre trois phrases dans une grande composition pour les déchiqueter à coups d'épingles ou d'en détacher un sentiment exagéré peut-être pour railler non seulement l'exagération, mais le sentiment lui-môme. C'est à cela, cependant, que s'est borné le rôle de la critique: accueillant tout ce que le présent produisait avec un magnifique dédain, elle a passé son temps à écrire des épitaphes et à élever des tombeaux, sur lesquels elle mettait sa statue. Du reste, ne se faisant pas faute de réhabiliter le lendemain l'œuvre proscrite la veille, s'il en était besoin pour écraser l'œuvre du jour. Enfin, la critique criait si souvent et si fort que le génie avait disparu, elle s'affligeait si bruyamment sur les avorte- ments littéraires de chaque jour, que le public, pour qui l'ef- fronterie remplace souvent la science, s'y est laissé prendre; il a cru que ces juges altiers avaient une loi au nom de la- quelle ils jugeaient, ces maîtres de l'art un type parfait au- quel ils comparaient les productions infailliblement condam- nées, et il s'est mis, de bonne foi, à les prier de révéler ce mystérieux idéal qui leur sert de guide. — Les ennemis de la