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312 TABLEAU DE LYON EN 1786. en font les honneurs avec plaisir, les femmes avec grâce ; et l'on voit â la gaîté qui y règne que ce plaisir n'est point fac- tice, et que cette grâce n'est pas étudiée. Le souper paraît être ici le repas le plus agréable, toutes les affaires étant finies avec le jour, chacun se livre plus vo- lontiers à la joie de se retrouver ensemble. D'ailleurs la lu- mière inspire une certaine ivresse, que le soleil le plus brillant ne produit jamais. Les femmes sont plus aimables, elles sen- tent mieux toute l'étendue de leur empire, parce que l'heure s'approche où elles seront moins avares de leurs plus chères faveurs. J'ai assisté à quelques-uns de ces soupers, et je vous avoue, mon ami, que je les préfère aux plus brillants de ïa capitale. Il y règne une aisance, une aménité, un ton de bonhomie, qui n'exclut ni les grâces, ni la saillie, ni même l'épigramme ; mais son tranchant est émoussé par la gaîté. La sotte médisance, l'odieuse calomnie, l'envie au teint pâle et livide, ne trouvent point à s'asseoir à des tables occupées par le bonheur, la joie, le sentiment et la beauté : car vous savez que gens heureux ne s'occupent ni d'envier, ni de dé- chirer les autres. Le jeu paraît être ici moins un besoin qu'un usage auquel on n'ose pas encore se soustraire. Vous savez combien je hais cette invention née pour mettre l'homme d'esprit de ni- veau avec les sots ; ce puéril ou dangereux emploi du temps qui fait perdre les plus belles heures du jour à remuer de grossières images, ou qui mine en peu de temps les fortunes les mieux établies. J'ai vu avec plaisir qu'on ne connaissait point ici les excès de cette passion slupide, avec tant de moyens de la satisfaire. On joue pour s'amuser; mais joue qui veut. Dans une assemblée de quinze personnes, je n'ai vu que deux tapis verts, et leurs acteurs mêmes prenaient souvent part à la conversation des assistants. Voilà comme j'aime la société; et cette liberté laissée à chacun de s'amuser comme il lui