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TABLEAU DE LYON EN 1786. 309 cilité de les satisfaire ; et de ce concours de turpitudes sans cesse renaissantes, sort cette foule d'êtres corrompus qui vé- gètent dans la honte, et meurent sans avoir commencé de vivre. Qu'ici le tableau est différent ! Si les fortunes y sont moins excessives, les besoins y sont aussi moins impérieux : si cha- cun n'a pas l'abondant superflu, tous jouissent au moins de l'exact nécessaire. La fainéantise n'ose point se montrer dans un lieu où tout homme se trouve honoré par le travail. Comme chacun y est occupé de ses affaires, personne n'a le temps d'être dupe, et les chevaliers d'industrie vont exercer ailleurs un talent qui ne leur attirerait ici que 1 attention des magistrats, et des dangers sans profit et sans gloire : je dis sans gloire, car vous savez que, dans ce siècle philoso- phe, les filous ont aussi la leur. Ce n'est peut-être pas la plus usurpée. De cette activité qui se porte à tous les endroits de la ville, il résulte un tableau fait pour intéresser l'observateur. A Paris, on court, on se presse parce qu'on y est oisif. Ici, l'on marche posément, parce qu'on y est occupé. Le négo- ciant, le marchand, l'artisan, l'ouvrier, tous songent à leurs affaires en les faisant. Tous portent sur leur visage l'em- preinte de la réflexion : et l'on voit que si leur intérêt les oc- cupe, cet intérêt n'est pas fondé sur le malheur des autres. Le commerçant doit aimer sa patrie, le rentier n'aime que lui-même. L'industrie est poussée ici au dernier degré de perfection. La main-d'œuvre y est à bas prix, et l'on y exécute des ou- vrages admirables avec des sommes modiques. L'ouvrier se contente d'un léger bénéfice; le fabricant aime mieux ac- croître modérément ses fonds par une prompte circulation, que d'essayer de les doubler par les risques inséparables d'une longue attente. Les affaires s'y font avec une promptitude,