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284 BÉRANGER pour la mettre dans l'arche sainte des conquêtes de l'esprit, et ne frapper que sur les erreurs. Si cette vénération manqua à Courier, c'est qu'il lui manqua aussi le sens de l'avenir par lequel on devine, pour ainsi dire, la vérité naissante avant qu'elle soit démontrée. Il fut l'homme du présent, il le trouva laid et se mit à le railler. Raillant beaucoup parce qu'il sen- tait peu, il n'a pas eu un moment de pilié pour noire gloire, pas un élan douloureux vers une destinée meilleure ; en un mol, il a été incomplet. Tel ne fut pas Béranger, et c'est en cela qu'il est vrai- ment admirable. Il faut des hommes comme Courier, patients et sagaces investigateurs des fautes de leur temps, mais il en faut aussi qui ne se contentent pas de flétrir le présent et d'y rester; il en faut qui aspirent, par une sainte pilié, à dé- livrer et à faire marcher la race humaine. Mais s'il s'était trouvé un homme qui eut manié mieux que nul autre le fouet aux satyriques nœuds, selon l'expression d'un poète ; si cet homme, impitoyable pour les méchants, avait senti son cœur se fondre en déplorant les maux de ses concitoyens; si, avec celte intelligence occupée du présent, ce cœur ému des misères passées, cet homme avait encore possédé une âme pleine des aspirations de l'avenir, exprimées en vers subli- mes, nous dirions : où est ce citoyen intrépide? où est ce poète, ce philosophe?... Quoi! ce n'est qu'un chansonnier? oui, mais ce chansonnier, c'est Béranger. Écoutez, voici une chanson! politiques qui agitez en longs discours le destin de la France, lequel, par bonheur, ne dé- pend pas de vous. Cette chanson s'appelle les Fous, et ce litre est amèrement sérieux : Vieux soldats de plomb que nous sommes, Au cordeau nous alignant tous, Si des rangs sortent quelques hommes, Tous nous crions : à bas les fous !