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25() la profondeur du sentiment ; toutes ces qualités se trouvent à divers degrés dans l'œuvre de M . Desportes. Ses personnages sont vrais sans être chargés, il y a dans sa manière une élégance native qui le garantit de l'exagération. Nous avons particulièrement remarqué avec quelle délicatesse est traité le tableau des souffrances domestiques de Molière, son incurable amour pour une femme qui ne cesse de le tromper ; cette femme elle-même, le poète a su nous la montrer légère, coquette, mais sans être avilie. Ce que nous louerons, par dessus tout, dans Molière ù ChamborJ, et d'autant plus que ce genre d'éloge est rarement mérité sur nos théâtres, c'est le style ; c'est là de la belle et bonne langue française, du meilleur aloi, et nous en avons été vivement frappé. Ce n'est pas cette langue fade, incolore, flasque et plate, que les poètes de l'Empire et leur continuateurs ont prétendu nous donner comme la langue du grand siècle, c'est un style qui a conservé la pureté classique sans les affadissements des écrivains à la suite. C'est, du reste, un symptôme que nous sommes heureux de signaler dans la littéra- ture de ces dernières années : après les excès de la ferveur novatrice, nous avons eu quelques œuvres d'un style vraiment renouvelé aux bonnes sources, qui s'est empreint suffisamment de la couleur moderne en conservant le dessin antique ; qui, à travers notre révolution littéraire, n'a rien oublié, et a beau- coup appris. Les vers de M. Desportes sont une des meilleures preuves de celte formation d'un bon langage littéraire ; la facture en est ferme et souple en même temps ; pour les comparer à ceux d'un écrivain à qui quelques personnes attribuent le sceptre de la comédie en vers dans notre temps, nous les déclarons nettement supérieurs à ceux de Casimir Delavigne ; l'éloge est mince de notre part, mais il explique notre pensée quand nous parlons d'un langage pur, élégant et noble, sans appartenir à ce que l'on a longtemps appelé l'école classique. On doit des éloges à la Direction et aux artistes pour le soin avec lequel ils ont monté cette pièce, quoi qu'on pût prévoir que, malgré sa haute valeur littéraire, elle n'aurait pas le privilège d'attirer la foule, privilège réservé au jourd'lmi à l'opéra. L'ouvrage a été généralement bien joué ; le rôle de Molière exigeait peut-être un sentiment plus profond, plus concentré, et moins de mouvement que n'en a mis M. D'EgruIly. M. Cossard a rendu Chapelle avec esprit. En somme, des applaudissements plusieurs fois répétés ont constaté un succès complet; et ce succès sera encore plus grand auprès des amis de la bonne littérature et des beaux vers qui liront l'œuvre de M. Auguste Desportes. VICTOR m 'f.Al'ItADK.