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pour le rendre à lui-môme, et l'avertissent de se replacer
volontairement sous l'influence des lois de la création divine;
cette époque intermédiaire, en tant qu'elle est douée du sen-^
timent de l'infini, a aussi une poésie qui lui est propre. En
effet, Aristote compte les dialogues de Platon au nombre des
ouvrages épiques; et, parmi les modernes, le Dante a donné
l'exemple d'une épopée sublime , dont le dogme fournit la
fable et presque tous les ressorts. Homère, Socrate, Virgile,
voilà donc les trois termes essentiels de la progression histo-
rique de la poésie. Quoique les nations modernes soient loin
d'avoir achevé leur carrière, on peut néanmoins essayer d'en-
fermer leur développement dans le même cycle. Chez elles
on trouvera l'analogue du premier terme dans les poésies po-
pulaires et primitives des races indo-germaniques, celui du
second dans les théologiens du moyen-âge et dans les philo-
sophes de la Renaissance, celui du troisième dans Rousseau et
dans les grands poètes naturalistes que la France, l'Allema-
gne et l'Angleterre ont vu briller après sa mort.
Les formules d'Aristote, dont la théorie esthétique est, Ã
ce qu'il me semble, la plus élevée et la plus solide qu'on ait
encore établie, me serviront à présenter ma pensée d'une ma-
nière plus précise et plus rigoureuse. La philosophie qui
contemple l'universel en lui-même est la plus haute poésie
que l'espèce humaine puisse concevoir; mais, par cela même
que cette poésie considère l'universel sans voiles, elle n'est ac-
cessible qu'Ã un petit nombre d'esprits. La foule quia l'habi-
tude de tout juger par les sens, ne comprend guère l'art que sous
les formes du particulier ; aussi a-t-elle toujours réservé les
faveurs de la popularité pour les poètes qui ont su lui présen-
ter, sous ce déguisement indispensable à sa faiblesse, l'univer-
sel qui est le fond éternel et identique de la poésie. Pour
suivre le mouvement de son esprit et pour mériter son admi-
ration, il faut donc lui montrer l'universel, durant la pre-