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 poteaux plantés sur la voie où ont passé les grands écrivains,
 ils indiquent une route frayée, sans forcer personne à la suivre.
 Celui-là seul a tort qui s'égare en s'en écartant.
    Après cela y a-t-il un bien grand mal à ce que, pour abréger,
 nous désignons en grec par un seul mot ce qui dans notre
 langue en exigerait plusieurs? L'art oratoire ne pourra-t-il em-
 ployer la langue de Démoslhène pour désigner un procédé de
 l'esprit, comme la chimie pour désigner une composition des
 corps : et la rhétorique sera-t-elle bien coupable d'avoir aussi
 sa nomenclature?
    Non, ce ne sont point de frivoles recettes de phraséo-
 logie que la rhétorique propose à ses élèves ; elle leur pré-
 sente, dans les grands écrivains, le trésor des idées mo-
 rales, héritage immortel de la famille humaine, que se passent
 demain en main les générations.
    Par elle, toutes ces opinions, toutes ces pensées qui coulent
 sur leur esprit dans le calme des passions et des intérêts, y dé-
 posent, pour ainsi dire, un fertile sédiment de raison et de sens
 commun. C'est elle enfin qui leur donne une précoce etin-
 nocente expérience de la vie, en leur en montrant dans la litté-
 rature le fidèle mais chaste tableau, en déroulant à leurs yeux
 les annales des nations, cette grande épopée au dénouement
 inconnu, dont Dieu est le poète, et l'humanité le héros.
    S'il était une chose au monde qui pût suppléer à l'indispen-
 sable étude des hommes, ce serait l'étude des livres. Un livre,
c'est presque un être humain ; c'est à la fois moins et plus
 qu'un homme, c'est une idée : c'est une portion d'ame épa-
 nouie au grand jour : c'est une pensée humaine, mais dévelop-
pée, mais agrandie par une merveilleuse réfraction en passant
par l'esprit d'un grand homme. Toutes les idées morales, tous
les sentiments vrais, reposent sans doute en germe même dans
les âmes communes; mais dans les grands écrivains, elles
jettent de profondes racines, elles se nourrissent de la sève de
leur génie, et jaillissent au dehors en chefs-d'œuvre.
    Nous avons tous senti combien l'homme est petit devant