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384 ble ne devraient en former qu'une seule. La lenteur avec laquelle l'esprit humain se meut dans la vaste sphère, les tiraillements qui le tourmentent, les mécomptes qu'il éprouve me paraissent résulter de l'ignorance où nous sommes sur ce point de départ. Chacun se cantonne dans un étroit milieu et s'y fait un monde à soi. Aussi n'ai-je pu rencontrer parmi tes compatriotes deux hommes qui restassent du même avis, seu- lement pendant un quart-d'heure. Il ne m'a pas élé moins impossible d'apprendre quel était, en quoi que ce fût, le système le plus généralement préféré. Rien n'esldécourageant comme la promptitude avec laquelle le dénigrement et l'a- bandon succèdent chez vous à l'enthousiasme. Dans ta patrie on se fait un jeu, que dis-je ? c'est un honneur de soutenir le pour et le contre avec une égale facilité. Fasse le ciel que cette déplorable manie de briser ainsi les convictions et d'af- fadir les consciences ne vous préparent pas des catastrophes nouvelles; car, suivant le sage marabout dont je t'ai parlé, l'apparition des sophistes présage inévitablement la chute d'un empire. — Dieu veuille démentir tes sinistres prédictions. Mais éloignons nos pensées de ce lugubre avenir. Ainsi, je le vois, les salons où se rassemble l'élite du monde élégant et illustre n'ont été pour toi, si l'on t'y a conduit, que des cercles fastidieux. — Non. Introduit dans quelques-uns ce que j'y ai vu m'a surpris. On m'avait dépeint certains personnages comme des êtres d'une intelligence fermée aux lueurs de la raison, dont le cœur était inaccessible à tout large sentiment. M'en étant approché, je remarquai chez eux de la sagesse, une grande bienveillance. Mais sitôt qu'ils eurent à me parler de leurs an- tagonistes, ils en firent de farouches sauvages, de véritables bêtes féroces. Revenu vers ces derniers, j'observai dans la plupart d'entre eux un vif amour du bien, une générosité ar- dente. Le caractère des premiers était une prudence extrême; celui des seconds une impatience excessive, une témérité sans