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71 On peut accorder à Prudence le titre de premier poète chré- tien, pourvu qu'on n'altache pas à ce nom une trop grande importance. Notre poète n'était pas dépourvu de talent ; il avait de l'instruction, et connaissait les bons écrivains de l'an- tiquité. L'esprit et l'imagination ne lui manquaient pas ; il ne saurait être néanmoins comparé aux auteurs classiques ; il est même très inférieur à Ausone et à Claudien. Son style est incorrect, et il pèche gravement contre les lois du mètre. Néanmoins, Erasme qui s'y connaissait, n'hésite point à nommer Prudence Unum inler chrislianos vere facundum poetam (1). Il ne faut oublier toutefois ni Synésius, ni Gré- goire de Nazianze (2). Pour donner une idée plus complète de Prudence, et montrer quels sentiments animaient cet homme qui devenait poète à un âge où, d'ordinaire, on cesse de l'être, nous tra- duirons le seul endroit de ses œuvres où il parle de lui un peu longuement. « Déjà , si je ne me trompe, j'ai vécu cinquante ans, et voici encore qu'il s'écoule une septième année, depuis que je jouis de la vue du soleil. « Le terme approche, et déjà Dieu hâte le jour voisin de la vieillesse. Qu'ai-je fait d'utile, moi, dans un si grand espace de temps ? « Mon jeune âge pleura sous les férules retentissantes ; la toge virile, me trouvant bientôt infedé de vices et rempli de crimes, vint m'apprendre à proférer le mensonge. « Alors, une funeste lascivelé, une licence effrénée,—j'ai honte, hélas ! et douleur de le rappeler,— flétrirent ma jeu- nesse avec les souillures du péché. « Les querelles du Forum agitèrent ensuite l'ardeur de mon esprit, et un désir immodéré de triompher me causa de tristes catastrophes. « Deux fois je gouvernai de nobles cités, et fus l'interprète (1) De Pueris liberaliter instituendis. (2) Nous en parlerons prochainement.