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  au côté, aller chez un boulanger acheter un morceau de pain , cela se pou-
 vait-il? Enfin je me rappelai le pis-aller d'une grande princesse à qui l'on disait
 que les paysans n'avaient pas de pain, et qui répondit : Qu'ils mangent de la
 brioche ! J'achetai de la brioche. Encore que de façons pour en venir là ! Sorti
 seul à ce dessein , je parcourais quelquefois toute la ville, et passais devant
 trente pâtissiers, avant d'entrer chez aucun. Il fallait qu'il n'y eut qu'une seule
 personne dans la boutique , et que sa physionomie m'attirât beaucoup, pour
que j'osasse franchir le pas. Mais aussi quand j'avais une fois ma chère pe-
tite brioche , et que , bien enfermé dans ma chambre , j'allais trouver ma
bouteille au fond d'une armoire, quelles bonnes petites buvettes je faisais là
tout seul, en lisant quelques pages de roman ! Car lire en mangeant fut tou-
jours ma fantaisie, au défaut d'un tête-à-tête : c'est le supplément de la
société qui me manque. Je dévore alternativement une page et un morceau ;
 c'est comme si mon livre dînait avec moi.
    Je n'ai jamais été dissolu ni crapuleux, et ne me suis euivré de ma vie.
Ainsi mes petits vols n'étaient pas forts indiscrets ; cependant ils se décou-
vrirent; les bouteilles me décelèrent. On ne m'en fit pas semblant, mais je
n'eus plus la direction de la cave. En tout cela , M. de Mably se conduisit
honnêtement et prudemment. C'était un très-galant homme , qui, sous un
air aussi dur que son emploi, avait une véritable douceur de caractère et
une rare bonté de cœur. Il était judicieux , équitable , e t , ce qu'on n'at-
tendrait pas d*un officier de maréchaussée, même très-humain. En sentant
son indulgence, je lui eu devins plus attaché , et cela me fit prolonger mon
séjour dans sa maison plus que je n'aurais fait sans cela. Mais enfin, dégoûté
d'un métier auquel je n'étais pas propre et d'une situation très-gênante qui
n'avait rien d'agréable pour moi, après un an d'essai, durant lequel je n'é-
pargnai point mes soins, je me déterminai à quitter mes disciples, bien
convaincu que je ne parviendrais jamais à les bien élever. M. de Mably lui-
même voyait tout cela aussi bien que moi. Cependant je crois qu'il n'eût jamais
pris Sur lui de me renvoyer si je ne lui en eusse épargné la peine , et cet
excès de condescendance en pareil cas n'est assurément pas ce que j'ap-
prouve.

   Tout ceci se passait rue Saint-Dominique, où habitait
le grand-prévôt, et où j'ai souvent pensé à Jean-Jacques Rous-
seau buvant son petit vin blanc d'Arbois.
   En 1741, Rousseau, qui avait cessé de faire l'éducation des
enfants de M. de Mably, nous apprend qu'avant de se rendre