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cœur. Que béni soit le bon saint Batistin et sa bonne cantate, qui m'a valu
un meilleur déjeuner que celui sur lequel je comptais, et un diner bien
meilleur encore, sur lequel je n'avais point compté du tout! Dans mon meil-
leur train d'aller et de chanter, j'entends quelqu'un derrière moi ; je me
retourne, je vois un Antonin (1) qui me suivait et qui paraissait m'écouter
avec plaisir. Il m'accoste, me salue , me demande si je sais la musique. Je
réponds un peu , pour faire entendre beaucoup. Il continue à me question-
ner : je lui compte une partie de mon histoire. Il me demande si je n'ai ja-
mais copié de la musique. Souvent, lui dis-je. Et cela était vrai ; ma meilleure
manière de l'apprendre était d'en copier. Eh bien ! me dit-il, venez avec
moi, je pourrai vous occuper quelques jours, durant lesquels rien ne vous
manquera, pourvu que vous consentiez à ne pas sortir de la chambre. J'ac-
quiesçai très-volontiers, et je le suivis.
    Cet Antonin s'appelait M. Rolichon ; il aimait la musique, il la savait, et
chantait dans de petits concerts qu'il faisait avec ses amis. Il n'y avait rien
là que d'innocent et d'honnête, mais ce goût dégénérait probablement en
fureur, dout il était obligé de cacher une partie. Il me conduisit dans une
petite chambre que j'occupai, et où je trouvai beaucoup de musique qu'il
 avait copiée. Il m'en donna d'autre à copier, particulièrement la cantate
 que j'avais chantée, et qu'il devait chanter lui-même dans quelques jours.
J'en demeurai là trois ou quatre j ours à copier tout le temps que je ne man-
geais pas , car de ma vie je ne fus si affamé ni mieux nourri. Il apportait
mes repas lui-même de leur cuisine ; et il fallait qu'elle fut bonne , si leur
ordinaire valait le mien. De mes jours je n'eus tant de plaisir à manger ; et
il faut avouer aussi que ces lippées me venaient fort à propos, car j'étais
 sec comme du bois. Je travaillais presque d'aussi bon cœur que je mangeais,
 et ce n'est pas peu dire. Il est vrai que je n'étais pas aussi correct que dili-
 gent. Quelques jours après, M. Rolichon, que je rencontrai dans la r u e ,
 m'apprit que mes parties avaient rendu la musique inexécutable , tant elles
 s'étaient trouvées pleines d'omissions , de duplications et de transpositions.
 Il faut avouer que j'ai choisi là dans la suite le métier du monde auquel j'étais
 le moins propre, non que ma note ne fût belle et que je ne copiasse fort
 nettement; mais l'ennui d'un long travail me donne des distractions si gran-
 des, que je passe plus de temps à gratter qu'à noter, et que si je n'apporte
 la plus grande attention à collationner mes parties, elles font toujours man-
 quer l'exécution. Je fis donc très-mal en voulant bien faire , et, pour aller


   ( 0 Les ANTOMINS étaient une communauté de moines sécularisés, et qui étaient décorés de
 la croix de Malte, pour avoir autrefois donné une partie de leurs biens à cet ordre militaire,