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442 Les deux champions s'étaient baissés à demi pour ramas- ser leurs pistolets , et ils s'étaient arrêtés à demi baissés , immobilisés par la vue des miches ! leurs bras étaient étendus , leurs bouches béantes ; il y avait dans leurs regards un éton- nement indicible, une stupéfaction de brute, sur leurs lèvres une rage concentrée ; ils étaient dans l'impuissance de parler, leurs têtes bourdonnaient, ils grinçaient des dents. Tous deux, par un mouvement d'ensemble spontané, prouvant bien qu'ils avaient été tous deux affectés au même degré par cet étrange incident, relevèrent la tête , se croisèrent les bras , et après avoir encore jeté un regard découragé sur les flûtes de pain , portèrent sur César des yeux irrités qui semblaient demander raison de ces rires insolents dont l'éclat les pour- suivait sans relâche. Les rires diminuèrent peu à peu, mais la foule resta bruyante et causeuse. Beaucoup riaient encore; beaucoup avaient été arrêtés par le sentiment d'indignation si vigou- reusement peint sur la figure des deux combattants ; quel- ques-uns étaient désappointés et disaient tranquillement : C'est fini comme ça! tiens , que c'est bête ! Mais le plus grand nombre des spectateurs attendaient, inquiets, la fin de cette étrange comédie qui, de sérieuse et meurtrière qu'elle sem- blait être , avait tourné brusquement au burlesque. César, immobile, les yeux fixés à terre, gardait le silence le plus profond et le sérieux le plus imperturbable ; enfin , il releva la tête, et ouvrit la bouche ; la foule devint silencieuse et attentive. Eh bien ! dit-il, qu'avez-vous à me regarder comme ça, avec vos grands yeux et la bouche ouverte ? Tous vous êtes bien conduits, je vous tiens pour deux braves ; mais vous êtes des imbécillcs de penser que je vous laisserais ainsi vous brûler la cervelle pour une bêtise. Des jeunes gens, je ne dis pas, mais des hommes qui ont femme et enfants à qui ils feraient faute , allons donc! Les femmes l'interrompirent en criant : Bravo ! bravo !