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Pendant ces cinq mortelles journées, je montai plusieurs
fois avec MM. Arnaud et Sauzet(l) au dôme qui surmonte ce
monument, et, de la galerie élevée qui entoure ce dôme,
nous dominions la ville d'assez haut pour suivre la majeure
partie des mouvemenls opérés soit par les troupes, soit par
les insurgés. Il me serait impossible de rendre tout ce qu'a-
vait de grand et de profondement impressionnable le specta-
cle qui s'offrait à nos regards!
Cette longue suite de quais et de ponts , d'ordinaire si en-
combrés de population, si pleins de vie et de mouvement,
alors nuds, solitaires et silencieux comme la tombe ! Des ar-
tilleurs avec leurs pièces, formant seuls de petits groupes, Ã
une grande distance les uns des autres, et dans la direction
desquels aucun être vivant n'osait se montrer ; plus loin,
sur la rive gauche du Rhône , les manœuvres de l'artil-
lerie volante; ça et là , mais dans un prudent éloignement,
de rares insurgés se cachant, un à un, derrière une muraille ou
une palissade, pour harceler les postes par quelques coups de
fusil, et bientôt débusqués par la venue d'un détachement
qui les forçait à prendre la fuite ; à la tête de chaque pont,
les troupes rangées en bataille ; sur celui de la Guillotière,
le convoi d'un militaire blessé que ses camarades appor-
taient à l'hôpital, rencontré et salué par le général et son
état-major allant visiter les positions sur la rive opposée ;
d'un autre côté, à l'ouest et au nord, principalement à la
Croix-Rousse, où l'œil ne pouvait distinguer les détails, les
détonnations continuelles et d'incessantes fumées n'indi-
quaient que trop les lieux où l'on se battait, d'une part avec
vigueur, de l'autre avec une résistance acharnée : tel est
le tableau qui se déroulait devant nous, et dont la plume la
plus habile ne saurait peindre l'effet terrible et prodigieux.
Le 11, surtout, fut un jour dont le souvenir ne s'effacera
point de notre mémoire. Par un feu des plus intenses,
(1) Trésorier des hôpitaux.