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dans le fond de la pièce wn autre établi, où charpente un ou-
vrier ; et puis dans les coins , suspendus à toutes les parois, par
terre, sur les chaises, contre les encadremens de la fenêtre,
des instrumens à cordes de tout genre et de tous les temps,
depuis la contre-basse jusqu'Ã la mandoline , depuis le violon
de Stradivarius jusqu'à celui de Mirécourt.
Dans cet amas d'instrumens on aperçoit cependant une déco-
ration essentielle, parce quelle est la seule de l'appartement ;
ce sont d'un côté les portraits de "Viotti et de quelques maîtres
de l'école française ; de l'autre, ceux de l'école italienne. Viotti
est près de la place de Sylvestre l'aîné, Paganini à côté de Celle
du cadet. Il y a instinct dans la pensée irréfléchie qui a déterminé
l'emplacement de ces deux portraits. Viotti semble dire à l'aîné
Sylvestre: «J'ai été comme toi plein de vénération pour les anciens;
dans leurs traditions j'ai trouvé la clé du progrès de l'art; de la
fusion de mon génie et de la science prise au point où l'avait laissée
mes devanciers, j'ai bâti la grande école française sur le modèle
delà discipline prussienne ; j'ai procédé avec sagesse et méthode;
j'ai été pur et vigoureux ; j'ai préféré le fini à la verve, l'exac-
titude à l'inspiration ; je me défie des innovations, qui ne sont
que trop souvent la reliure du charlatanisme. J'aime à te voir tra-
vailler , car tu es soigneux ; rien ne sort de tes mains, qui ne soit
minutieusement exécuté, poli, frotté, symétriquement arrangé.
Paganini au contraire, avec son nez moqueur, ses lèvres rail-
leuses , semble quelquefois s'entretenir joyeusement avec le
cadet ; on dirait qu'il prend à plaisir à le voir manier rapidement
le canif et le rabot, et lui souffle à l'oreille quelque invention
nouvelle. Un jour le jeune luthier puisa dans l'œil de Paganini
la forme étrange d'une F de violon, et quand de ce violon qu'on
baptisa le Monstre sortit un son aussi étrange que sa structure,
Paganini sembla s'émoustiller dans son cadre doré, comme il
fait parfois quand il tient tout un public haletant sur les crins de
son archet.
Cependant, au milieu de cette différence de caractère ^ les
deux frères se rencontrent dans la passion qu'ils éprouvent avec
une égale sincérité pour leur art, et dans ce siècle si positif, où
tout est submergé par la spif des jouissances et de l'argent qui